- Quelle analyse faites-vous du résultat des élections américaines ?
- Tous les sondages, même jusqu’à hier soir, donnaient Donald Trump et Kamala Harris au coude à coude. Encore une fois, on constate que les sondages n’ont pas bien lu l’environnement socio-politique et que les Américains n’étaient pas prêts pour une présidente.
- Selon vous, c’est le fait qu’elle soit une femme qui a joué contre Kamala Harris ?
- On ne pourra jamais le prouver, mais on ne peut pas ne pas se poser la question. Son sexe, son statut de fille d’immigrants des deux côtés, et le fait qu’elle ne soit pas blanche ont pu jouer contre elle. Donald Trump a fait pour sa part une campagne très ciblée. Il avait une audience en tête et il a ciblé celle-ci et personne d’autre. Les Démocrates ont pour leur part essayé de cibler un peu plus large, mais cela n’a pas marché.
- Pour autant, le retour de Donald Trump après avoir quitté la Maison Blanche par la petite porte n’est-il pas un peu étonnant ?
- Tout dépend de la perspective dans laquelle on se place. De notre perspective d’Européens, cela nous choque parce qu’on a du mal à comprendre comment des gens censés peuvent voter pour un candidat comme Donald Trump. Mais il faut se souvenir qu’il a commencé sa campagne présidentielle en 2015. De plus, dans les années 1980, il faisait la Une des tabloïds à New-York, il a aussi eu une émission à la télévision pendant une dizaine d’années qui l’a rendu très célèbre. Donc il y a une véritable marque Donald Trump. Même lorsqu’il a perdu il y a 4 ans contre Joe Biden, il a quand même enregistré 10 millions de voix de plus qu’en 2016. Cette mouvance est là et n’a fait que s’amplifier au fil des années.
- N’a-t-il pas aussi bénéficié du soutien de certaines personnalités comme Elon Musk qui a activement fait campagne pour lui, notamment par le biais de son réseau social X ?
- Là aussi il est difficile de prouver le cause à effet, même s’il est difficile de l’ignorer. On a vu des rapports la semaine dernière qui montraient que les tweets de Démocrates n’avaient pas la même visibilité que ceux des Républicains sur ce réseau qu’Elon Musk contrôle. Mais en même temps Kamala Harris avait quand même le soutien de quasiment toutes les stars du pays comme Taylor Swift, Oprah Winfrey, Beyoncé… Tous se sont mobilisés pour elle, mais cela n’a pas suffi. Aux États-Unis, les gens vivent presque dans des mondes différents en fonction des médias qu’ils consomment. Cette base de Donald Trump est exposée depuis presque 10 ans à des shows à la télévision qui leur disent que tout ce qu’il dit est vrai. Donc il peut leur mentir car ils vont le croire. Il y a aussi un groupe de personnes qui soutiennent Donald Trump car il sert leurs intérêts, même s’ils ne sont pas forcément d’accord avec sa politique. Je pense par exemple au groupe des chrétiens évangéliques : ils ont soutenu Donald Trump qui en retour, lors de son premier mandat, a installé trois juges issus à la Cour suprême qui ont banni le droit à l’avortement il y a deux ans. Il y a toutes ces variables en jeu, donc il est difficile de dire qu’Elon Musk a fait gagner Donald Trump, ou que Kamala Harris a perdu car c’est une femme. C’est beaucoup plus nuancé et c’est aussi tout le paradoxe des États-Unis. La Caroline du Nord par exempe a été le premier « Swing state » que Donald Trump a remporté, or les mêmes personnes qui ont voté pour lui ont aussi élu un gouverneur démocrate. Je pense que ce que Donald Trump a très bien fait durant sa campagne c’est de jouer le « nous contre eux », le « nous » représentant la plupart des hommes blancs qui se sentent un peu délaissés par toute cette globalisation et cet effet wokisme.
- Tous les sondages, même jusqu’à hier soir, donnaient Donald Trump et Kamala Harris au coude à coude. Encore une fois, on constate que les sondages n’ont pas bien lu l’environnement socio-politique et que les Américains n’étaient pas prêts pour une présidente.
- Selon vous, c’est le fait qu’elle soit une femme qui a joué contre Kamala Harris ?
- On ne pourra jamais le prouver, mais on ne peut pas ne pas se poser la question. Son sexe, son statut de fille d’immigrants des deux côtés, et le fait qu’elle ne soit pas blanche ont pu jouer contre elle. Donald Trump a fait pour sa part une campagne très ciblée. Il avait une audience en tête et il a ciblé celle-ci et personne d’autre. Les Démocrates ont pour leur part essayé de cibler un peu plus large, mais cela n’a pas marché.
- Pour autant, le retour de Donald Trump après avoir quitté la Maison Blanche par la petite porte n’est-il pas un peu étonnant ?
- Tout dépend de la perspective dans laquelle on se place. De notre perspective d’Européens, cela nous choque parce qu’on a du mal à comprendre comment des gens censés peuvent voter pour un candidat comme Donald Trump. Mais il faut se souvenir qu’il a commencé sa campagne présidentielle en 2015. De plus, dans les années 1980, il faisait la Une des tabloïds à New-York, il a aussi eu une émission à la télévision pendant une dizaine d’années qui l’a rendu très célèbre. Donc il y a une véritable marque Donald Trump. Même lorsqu’il a perdu il y a 4 ans contre Joe Biden, il a quand même enregistré 10 millions de voix de plus qu’en 2016. Cette mouvance est là et n’a fait que s’amplifier au fil des années.
- N’a-t-il pas aussi bénéficié du soutien de certaines personnalités comme Elon Musk qui a activement fait campagne pour lui, notamment par le biais de son réseau social X ?
- Là aussi il est difficile de prouver le cause à effet, même s’il est difficile de l’ignorer. On a vu des rapports la semaine dernière qui montraient que les tweets de Démocrates n’avaient pas la même visibilité que ceux des Républicains sur ce réseau qu’Elon Musk contrôle. Mais en même temps Kamala Harris avait quand même le soutien de quasiment toutes les stars du pays comme Taylor Swift, Oprah Winfrey, Beyoncé… Tous se sont mobilisés pour elle, mais cela n’a pas suffi. Aux États-Unis, les gens vivent presque dans des mondes différents en fonction des médias qu’ils consomment. Cette base de Donald Trump est exposée depuis presque 10 ans à des shows à la télévision qui leur disent que tout ce qu’il dit est vrai. Donc il peut leur mentir car ils vont le croire. Il y a aussi un groupe de personnes qui soutiennent Donald Trump car il sert leurs intérêts, même s’ils ne sont pas forcément d’accord avec sa politique. Je pense par exemple au groupe des chrétiens évangéliques : ils ont soutenu Donald Trump qui en retour, lors de son premier mandat, a installé trois juges issus à la Cour suprême qui ont banni le droit à l’avortement il y a deux ans. Il y a toutes ces variables en jeu, donc il est difficile de dire qu’Elon Musk a fait gagner Donald Trump, ou que Kamala Harris a perdu car c’est une femme. C’est beaucoup plus nuancé et c’est aussi tout le paradoxe des États-Unis. La Caroline du Nord par exempe a été le premier « Swing state » que Donald Trump a remporté, or les mêmes personnes qui ont voté pour lui ont aussi élu un gouverneur démocrate. Je pense que ce que Donald Trump a très bien fait durant sa campagne c’est de jouer le « nous contre eux », le « nous » représentant la plupart des hommes blancs qui se sentent un peu délaissés par toute cette globalisation et cet effet wokisme.
Enseignant-chercheur en marketing spécialisé dans les médias, Joseph Erba a travaillé durant 20 ans dans des universités américaines. (Photo : DR)
- Vous en parliez en filigrane : est-ce que quelque part la victoire de Donald Trump n’est pas aussi celle de la désinformation ?
- Oui, c’était vraiment une campagne basée sur la désinformation. Chaque fois qu’il faisait un meeting, Donald Trump distillait des dizaines de mensonges. Les électeurs y ont cru car ils vivent dans une bulle médiatique qui renforce tout. Donald Trump disait quelque chose durant un meeting, et ses électeurs allumaient Fox News et ils entendaient cela en boucle. Dans notre domaine, en sciences sociales, nous avons un concept, le « Mean World Syndrom - le syndrome du monde méchant – qui décrit un phénomène selon lequel les gens pensent qu’il y a beaucoup plus de crimes qu’il y en a en réalité. Quand ils regardent les informations, les gens apprennent toujours qu’il y a eu un crime à tel ou tel endroit. Derrière Donald Trump vient affirmer que les immigrants ont tout cassé, sont des sauvages, des violeurs… Et ses électeurs sont déjà programmés pour y croire.
- Pendant la campagne, Donald Trump n’a eu de cesse que de minimiser les effets du changement climatique, et a multiplié des propos inquiétants sur les femmes et leurs droits. Il a malgré tout reçu l’adhésion d’électeurs opposés à ces idées. Comment l’expliquer ?
- On voit cela ainsi car on le regarde de notre perspective d’Européens. Les sociologues aux États-Unis ont réussi à montrer que les électeurs pauvres et blancs votent contre leurs intérêts en soutenant le parti Républicain. Ils font cela car ils associent tous les programmes sociaux comme bénéficiant aux « Autres » : les Latinos, les Afro-américains… Et ils ne veulent pas que leur gouvernement aide ces personnes. Or, en faisant cela ils se coupent aussi leurs aides sociales. Donc d’un point de vue rationnel, certains électeurs auraient effectivement dû voter contre Donald Trump, mais ils se basent sur la perspective « nous contre eux » pour justifier leur choix. Ce qui fait très peur.
- Ce qui fait aussi peur pour le futur des États-Unis, c’est qu’aujourd’hui le pays se trouve coupé en deux…
- Je pense qu’il même est coupé en plus qu’en deux. Mais oui il y a plusieurs groupes identitaires qui ne se reconnaissent plus dans leurs élus nationaux.
- Quelles perspectives cela ouvre-t-il pour l’avenir ?
- On va essayer de rester optimiste, et de se dire qu’il faut souvent toucher le fond pour remonter. Mais malgré tout il faut se souvenir que les États-Unis sont une démocratie et le vote du peuple s’est exprimé en faveur de Donald Trump. On voit un peu le même système en Europe où on se dirige de plus en plus vers les extrêmes car on a peur de l’autre, peur du lendemain, donc c’est plus facile de trouver un bouc émissaire, de se réfugier derrière des arguments très simplistes, plutôt que d’essayer de comprendre vraiment la nuance de ce qui se passe au niveau mondial.
- Oui, c’était vraiment une campagne basée sur la désinformation. Chaque fois qu’il faisait un meeting, Donald Trump distillait des dizaines de mensonges. Les électeurs y ont cru car ils vivent dans une bulle médiatique qui renforce tout. Donald Trump disait quelque chose durant un meeting, et ses électeurs allumaient Fox News et ils entendaient cela en boucle. Dans notre domaine, en sciences sociales, nous avons un concept, le « Mean World Syndrom - le syndrome du monde méchant – qui décrit un phénomène selon lequel les gens pensent qu’il y a beaucoup plus de crimes qu’il y en a en réalité. Quand ils regardent les informations, les gens apprennent toujours qu’il y a eu un crime à tel ou tel endroit. Derrière Donald Trump vient affirmer que les immigrants ont tout cassé, sont des sauvages, des violeurs… Et ses électeurs sont déjà programmés pour y croire.
- Pendant la campagne, Donald Trump n’a eu de cesse que de minimiser les effets du changement climatique, et a multiplié des propos inquiétants sur les femmes et leurs droits. Il a malgré tout reçu l’adhésion d’électeurs opposés à ces idées. Comment l’expliquer ?
- On voit cela ainsi car on le regarde de notre perspective d’Européens. Les sociologues aux États-Unis ont réussi à montrer que les électeurs pauvres et blancs votent contre leurs intérêts en soutenant le parti Républicain. Ils font cela car ils associent tous les programmes sociaux comme bénéficiant aux « Autres » : les Latinos, les Afro-américains… Et ils ne veulent pas que leur gouvernement aide ces personnes. Or, en faisant cela ils se coupent aussi leurs aides sociales. Donc d’un point de vue rationnel, certains électeurs auraient effectivement dû voter contre Donald Trump, mais ils se basent sur la perspective « nous contre eux » pour justifier leur choix. Ce qui fait très peur.
- Ce qui fait aussi peur pour le futur des États-Unis, c’est qu’aujourd’hui le pays se trouve coupé en deux…
- Je pense qu’il même est coupé en plus qu’en deux. Mais oui il y a plusieurs groupes identitaires qui ne se reconnaissent plus dans leurs élus nationaux.
- Quelles perspectives cela ouvre-t-il pour l’avenir ?
- On va essayer de rester optimiste, et de se dire qu’il faut souvent toucher le fond pour remonter. Mais malgré tout il faut se souvenir que les États-Unis sont une démocratie et le vote du peuple s’est exprimé en faveur de Donald Trump. On voit un peu le même système en Europe où on se dirige de plus en plus vers les extrêmes car on a peur de l’autre, peur du lendemain, donc c’est plus facile de trouver un bouc émissaire, de se réfugier derrière des arguments très simplistes, plutôt que d’essayer de comprendre vraiment la nuance de ce qui se passe au niveau mondial.