Dans le Cap Corse, à Rogliano, la mairie a fait le choix d'installer une unité de dessalement. Objectif, capter l’eau de mer de la commune, la dessaler et l’injecter dans les réserves d’eau douce pour lutter contre une sécheresse persistante et un niveau alarmant des ouvrages de stockage d’eau.
L’unité prévue devrait pouvoir traiter 500 m³ d’eau salée par jour pendant plusieurs mois. De quoi anticiper l’absence de pluies salvatrices pendant l’hiver comme cela avait été le cas pendant la saison hivernale 2021-2022.
Transformer 100 litres d’eau de mer en 70 litres d’eau douce
Dans le cas de Rogliano, le procédé utilisé serait celui de l’osmose inverse, plus moderne, plus propre et plus répandu que le procédé thermique qui fonctionne via l’évaporation de l’eau. Ici, des pistons appliquent une pression supérieure à 65 bar contre une membrane spéciale. Cette dernière laisse passer l’eau mais le sel se retrouve emprisonné. Ce procédé dispose d’un taux de conversion variable de 30 à 70 %.
Concrètement, dans le meilleur des cas, pour 100 litres d’eau salée puisée et traitée, 70 litres deviendront de l’eau douce. Le reste devient de la saumure. Une eau extrêmement salée puisque la même quantité de sel puisée se retrouve dans les 30 % d’eau restants. Ce qui donne une eau jusqu’à trois fois plus salée. Elle est ensuite rejetée en mer.
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Si le procédé est très utilisé dans les pays arides du pourtour Méditerranéen comme l’Algérie, l’Espagne, Israël ou encore l’Italie avec la Sardaigne, la Sicile et l’île de Capraia, il n’est pas sans risques pour l’environnement. Notamment pour le milieu marin dans lequel est renvoyée l’eau de rejet.
Des rejets d’eau pouvant être trois fois plus salés
Forcément, ce rejet d’eau extrêmement salée en mer est un danger pour le milieu marin et son équilibre. En Méditerranée, chaque litre d’eau comporte en moyenne 37 grammes de sel. Plusieurs études effectuées autour des stations méditerranéennes comme celle de Dhekelia à Chypre, montrent que cette concentration peut grimper de 5 à 10 grammes par litre, en fonction des courants et des possibilités de dilution dans la zone de rejet. Dans le Cap Corse, les courants pourraient ne pas être suffisants pour dégager le sel en trop, comme c’est le cas en Bretagne, sur l’île de Molène, où l’unité de dessalement couvre 60 % des besoins quotidiens en eau douce durant l’été.
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“Et quand on sait que, par exemple, les herbiers de posidonie sont sensibles à la moindre variation de salinité au milligramme près, cela pourrait avoir des effets catastrophiques sur cette plante au rôle primordial”. Si Christophe Mori, maître de conférence et enseignant-chercheur à l’université de Corse, ne mâche pas ses mots, il reconnaît des “avancées technologiques” dans le procédé mais il reste inflexible : “ce doit rester une solution d’extrême dernier recours”. Sur le long terme, la saumure, plus dense, reste sur les fonds marins et provoque de grands dégâts. “Cette stratification asphyxie les espèces vivant sur les fonds et modifie le milieu”, explique Christophe Mori.
D’autres problèmes non négligeables
La saumure n’est pas le seul danger environnemental que comporte ce procédé de dessalement. Dès septembre 2001, le programme des Nations Unies pour l’environnement, dans le cadre de son plan d’action pour la Méditerranée, évaluait les impacts du dessalement sur l’environnement dans un rapport de 92 pages.
Premièrement, pour fonctionner, l’unité a besoin d'énergie électrique. “Sachant comment est produite l’électricité en Corse, il faut se poser les bonnes questions. Faut-il vraiment utiliser des énergies fossiles pour produire de l’eau douce ?”, s’interroge Christophe Mori. Le chercheur est d’autant plus préoccupé par les produits utilisés pour rendre l’eau douce : “Plusieurs éléments entrent en jeu dans le processus et seront ensuite rejetés en mer avec la saumure. Souvent des éléments chimiques ,bioaccumulables qui vont remonter toute la chaîne alimentaire”. Anti-tartre, anti-corrosion, chlore, cuivre, antifouling. Tous pourraient se retrouver mêlés à l’eau de rejet, en fonction de la composition des matériaux utilisés.
Dernier point, l’eau rejetée sera plus chaude que celle prélevée. Ce qui pourrait occasionner une hausse moyenne de 0,65 degrés de la température de l’eau en mer selon certains relevés comme ceux effectués aux Emirats Arabes Unis dans les eaux de rejets de l’usine de Fujairah. Dans un contexte de réchauffement des eaux de surface en Méditerranée, la chose se complique.
“Nous sommes en pleine période de réchauffement climatique. Est-il vraiment raisonnable d’envisager le dessalement comme une solution durable ? D’autres solutions existent comme les retenues collinaires mais cela prend du temps à mettre en place et nous sommes toujours dans le court-termisme”, lance Christophe Mori en guise de conclusion.