Corse Net Infos - Pure player corse

Cardinal François-Xavier Bustillo : En Corse, "les armes ont trop parlé"


Manon Perelli et Michela Vanti le Lundi 3 Mars 2025 à 15:23

Après les récents assassinats qui ont endeuillé l'île, le Cardinal François-Xavier Bustillo avait appelé un sursaut collectif. Face à la violence qui gangrène la société corse, il insiste aujourd'hui sur le rôle à jouer par l'Église pour sortir l'île de la spirale infernale de la violence, grâce à des valeurs d'éthique, de morale et surtout d'éducation.



(Photo : Paule Santoni)
(Photo : Paule Santoni)
- Après les tragiques assassinats de Pilou Giorgi et de Chloé Aldrovandi, vous avez appelé à un sursaut moral contre la violence, mais aussi à transformer la société corse pour qu’elle vive dans la paix. Comment l'Église peut-elle concrètement contribuer à cette prise de conscience collective ?
- L’Église doit soutenir toutes les démarches politiques, sociales, économiques visant le bien et une vie paisible. Les armes ont trop parlé. Dans une société autant crispée que la nôtre, je crois que c’est le moment où il faut céder la place à la parole, au verbe, à la rencontre, à la connaissance de l’autre pour que nous puissions aller de l’avant. Je suis convaincu que si nous rentrons dans une logique de force il y aura des gagnants et des perdants, des prédateurs et des proies. Nous devons aller au-delà de cette dynamique. Nous devons nous placer à un niveau de responsabilité et de dialogue. Pour cela l’Église a une mission : être présente dans la vie sociale et apporter ses valeurs. Dans une société dite civilisée, s’il y a trop de violence, si les armes parlent, s’il n’y a que la voie de la force, on rentre dans une dynamique primitive. Il nous faut une morale et une éthique pour ne pas tomber dans la barbarie.
 
- La société corse semble d’ailleurs exprimer un ras-le-bol croissant face à la criminalité organisée. En tant qu’homme d’Église, comment percevez-vous cette évolution ?
- Je pense que justement on fait là des pas extrêmement importants pour éviter de vivre dans une société où la peur règne, où l’on se méfie les uns des autres. L’Église doit travailler pour que l’on arrive à se comprendre les uns les autres et que l’on contribue, chacun selon son génie propre, au bien de la société. Tout ce qui est mauvais, sans morale, sans éthique, tout ce qui provoque de l’injustice, de la violence, il faut le chasser de notre vie sociale.
 
- L’État reconnaît officiellement l’existence d’un véritable système mafieux en Corse. De son côté, vendredi dernier, les élus de l’Assemblée de Corse ont adopté à l’unanimité un rapport dédié à la lutte contre les pratiques mafieuses. Que vous inspire cette prise de conscience institutionnelle ?
- Je pense que lorsqu’on a la responsabilité politique, on ne peut pas se limiter à constater. Il serait facile, peut être confortable, de seulement constater qu’il y a des problèmes. Le propre des politiques, de nos élus, c’est de passer de la constatation à l’action, et de faire des propositions concrètes pour lutter contre tous ces signes de tricherie, d’injustice qu’il peut y avoir dans notre société. Quelque part, c’est aussi à l’institution politique d’apporter une éthique à la vie sociale.
 
- Dans ce rapport adopté par l’Assemblée de Corse vendredi dernier, est mise en exergue l’importance d’impliquer les autorités spirituelles dans la mobilisation contre la mafia. L’Église peut-elle répondre à cet appel ? Et comment ?
- Bien sûr, l’Église doit contribuer au bien. Nous n’avons pas le pouvoir de gouverner et de décider à la place des politiques, mais nous avons le devoir moral d’apporter notre spécificité, notre vision, et notre patrimoine spirituel pour que l’Église soit présente dans la conscience des personnes, et également dans la conscience collective de notre société, afin d’apporter un apaisement. Nous ne pourrons pas vivre dans une société violente et crispée, où nous sommes les uns contre les autres. Nous devons trouver les moyens et la responsabilité de viser le bien et d’être bien ensemble.
 
- Des moyens qui, pour l’Église, passent avant tout par l’éducation des jeunes…
- Oui. Il est important que par le catéchisme on puisse déjà transmettre aux enfants des valeurs très simples comme le respect de l’autre, la paix, la joie, le vivre ensemble. Il faut commencer par la base. J’étais il y a quelques jours à Serra di Ferro où des jeunes adolescents de la paroisse ont organisé un concert. Tout le village était là. C’est un moment où les jeunes ont fédéré toutes les forces. Je pense qu’il nous faudrait de plus en plus de ce genre de moments où on met en valeur ce qui est bon, positif et constructif, au lieu de mettre en avant ce qui est mauvais et qui assombrit notre vie sociale.
 
- Les confréries jouent pour leur part un rôle important dans le maillage social de l’île. Peuvent-elles être un levier pour porter un message de rejet des valeurs mafieuses et encourager un engagement éthique ?
- Les confréries se nourrissent des valeurs de l’Église et de l’Évangile. Il faut qu’elles continuent elles aussi à transmettre. Je pense qu’elles sont un soutien et une force pour nous car elles vont porter à la société leur côté fraternel, solidaire, social. Nous avons besoin d’un ciment qui fait le pont entre la tête de la société, ceux qui nous gouvernent, et la base. Les confréries sont des réalités intermédiaires qui peuvent apporter quelque chose de bon et de bien.
 
- Ce samedi, une marche contre la mafia est organisée par les collectifs "Massimu Susini" et "Maffia No' a Vita Iè". Envisagez-vous d'y participer ?
- Je serai à Rome. Mais évidemment je soutiens tout ce qui contribue et lutte concrètement pour éviter les dérives, pour éviter l’injustice. Je serai toujours à côté de ceux qui luttent contre la violence.
 
- À quelques jours de ce rendez-vous important, quel message entendez-vous porter ?
- Il faut y croire, s’engager et persévérer. Nous croyons à une société meilleure où tout ce qui pollue l’esprit social est éliminé. C’est à nous de travailler en ce sens. Marchez pour la paix, marchez contre la violence, marchez pour la justice.