Après plus de deux siècles d’absence, le retable de Corbara va enfin retrouver son île. Cette œuvre monumentale du XVe siècle, réalisée par le peintre génois Giovanni Mazone, a été acquise le 6 février dernier par la Collectivité de Corselors d’une vente aux enchères organisée par Sotheby’s à New York. Alertée par Pierre Rosenberg, président-directeur honoraire du Louvre, et Philippe Costamagna, ancien conservateur du musée Fesch, la Collectivité a remporté l’enchère pour un montant total de 337 012 euros, permettant ainsi le retour d’un élément majeur du patrimoine insulaire.
L’annonce officielle a été faite le 28 février à l’Assemblée de Corse par Anne-Laure Santucci, nouvelle conseillère exécutive en charge de la culture. « Après un premier pas avec l’acquisition de la Madonna di Brandu, voici celle du retable de Corbara », a-t-elle déclaré en langue corse devant les élus. « Un legs pour les jeunes générations, un fil tissé avec d’autres… le fil de notre identité. »
Une œuvre d’exception, témoin de la Renaissance ligure
Le retable de Corbara est une œuvre imposante, mesurant 2,73 mètres de haut pour 2,22 mètres de large. Il ornait autrefois le maître-autel du couvent franciscain de Corbara, en Balagna, avant de quitter la Corse après la fermeture du couvent sous la Révolution française.
Ce polyptique, remarquablement conservé et complet, illustre le savoir-faire du peintre génois Giovanni Mazone (1433-1511), une figure clé de la Renaissance ligure. L’œuvre se distingue par sa structure tripartite, ornée de six panneaux peints, encadrés d’un décor sculpté gothique italien tardif. Au centre, la Vierge en majesté tient l’Enfant Jésus, entourée d’anges musiciens. De part et d’autre, saint François d’Assise, saint Jean-Baptiste et d’autres figures religieuses complètent la composition. Le registre supérieur représente le Christ en croix, entouré de la Vierge, saint Jean et Marie-Madeleine.
Son importance pour la Corse ne fait aucun doute. En 1505, le peintre insulaire Anton Simone de Calvi s’est inspiré du retable de Mazone pour réaliser celui de l’église Sant’Albanu de Cassanu, toujours visible aujourd’hui. Une preuve indéniable que l’œuvre était bien destinée à l’île dès l’origine.
Un parcours mouvementé entre la France et les États-Unis
Après avoir quitté Corbara à la fin du XVIIIe siècle, le retable a connu un parcours complexe. Retrouvé à Paris au XIXe siècle, il passe ensuite entre plusieurs collectionneurs avant d’être acheté en 1959 par un couple d’Américains, John et Johanna Bass. En 1963, ils l’offrent au Bass Museum of Art de Miami, où il restera exposé pendant plusieurs décennies.
En janvier 2025, le musée décide de s’en séparer pour financer de nouvelles acquisitions. La Collectivité de Corse, informée in extremis, engage alors une course contre la montre pour authentifier l’œuvre et réunir les fonds nécessaires. Grâce à l’appui de la DRAC et des Musées de France, l’acquisition est validée, et le 6 février, le retable est officiellement remporté par la Corse.
Une restitution patrimoniale importante
Avec ce retour, la Collectivité de Corse affirme sa volonté de préserver et de valoriser le patrimoine insulaire. Le retable rejoindra d’autres acquisitions récentes, comme la Madonna di Brandu, exposée au musée de la Corse. Cette politique de restitution culturelle, saluée par les historiens et les experts en art, marque un tournant dans la préservation de l’héritage artistique insulaire.
L’œuvre retrouvera la lumière en Corse, entre le musée de Corti, où elle sera accessible au public, et l’église de Corbara, où elle participera à la transmission des traditions lors des cérémonies religieuses majeures. Comme l’a souligné Anne-Laure Santucci devant l’Assemblée : « Hier à Brando, aujourd’hui à Corbara, et demain, peut-être, d’autres trésors reprendront leur place chez eux. »