Les confrères venus de toute la Corse font A Granitula lors de la Santa di Niolu. Photo Christian Andreani.
- Comment sont nées les confréries en Corse ?
- Les confréries sont l’une des incarnations de la piété populaire en Corse. C’est un phénomène qui remonte au Moyen âge, à la période franciscaine. Au départ, ce sont des groupements de laïcs qui se réunissent pour résoudre des problèmes sociétaux : la misère, l’entraide, enterrer les morts, notamment en période de peste, l’assistance aux malades, construire et embellir les lieux de culte, commander des œuvres d’art, entretenir les répertoires liturgiques transmis par tous les ordres qui se sont succédés en Corse : les Franciscains, les Capucins, les Servites de Marie, les Jésuites, les Oblats de Marie... Nous avons encore une littérature musicale très riche, héritée des missions par exemple, et qui est toujours vivante à l’intérieur des confréries, avec l’utilisation, à la fois, de chants sacrés monodiques au Sud dans le Pumonte et polyphoniques au Nord dans le Cismonte de la Corse.
- Les confréries ont-elles perduré malgré des fortunes diverses ?
- Elles ont perduré dans quelques lieux. Il y a eu un âge critique au XVIIIe siècle avec l’interdiction des confréries dans le royaume, y compris en Corse, par le Roi de France en 1782. Par un décret du 18 août 1792, la Révolution française interdit également les confréries qui ne sont autorisées, de nouveau, que sous l’Empire. Elles regagnent progressivement leur place au cours du XIXe siècle. Les confréries corses ont résisté. Il y a eu ensuite une grande période de déprise avec les deux guerres mondiales. Elles ont été recréées sous l’Empire. La guerre de 14-18 a saigné à blanc les communes, plusieurs milliers d’hommes dans la force de l’âge sont morts. Les confréries ont amorcé un déclin qui a été amplifié avec les conflits mondiaux puisque les hommes partaient au front, et que c’était eux qui étaient les principaux concernés. Beaucoup de confréries ont disparu. Il en restait peu d’actives et seulement dans quelques endroits en Corse, notamment à Aiacciu, Bastia, Bunifaziu, Cargese, Calvi, Brandu, Lota, Figarella, Corti, Vescovatu, un peu aussi en Castagniccia. Le renouveau s’est amorcé avec le Riacquistu dans les années 80-90.
- Pourquoi le Riacquistu, le renouveau culturel, s’est-il emparé des confréries !
- Les confréries ont, elles aussi, participé au Riacquistu culturale. Parmi des exemples, dans les années 80, la confrérie Santa Croce de Pruprià, la confrérie Saint Antoine de Piana a refait ses statuts en 1982 sous l’impulsion du père Louis Doazan, statuts qui ont été approuvés par l’autorité canonique. Puis, il y a eu la reconstruction de A cunfraternita SanGhjambattista d’Aiacciu qui a, elle aussi, créé des nouveaux statuts. Dans les années 90, Monseigneur Sauveur Casanova était évêque de Corse, des confréries se sont alors redynamisées : Aiacciu Notre-Dame de la Miséricorde, Sartène, Forciolu, A Cunfraterna di u Santissimu Crucifissu di a Pieve di a Serra avec de riches répertoires chantés… Les cérémonies du 500e anniversaire de la fondation d’Aiacciu ont vu défiler des centaines de confrères venus de toute la Corse. Depuis quelques années, il y a une accélération, un vrai sursaut. Beaucoup de confréries se reconstituent depuis une trentaine d’années dans le rural, dans des villages comme Marignana, Peri, Vicu, avec de nombreux jeunes et des femmes. A Speluncatu, Belgudè, l’Isula Rossa, Lavatoghju, Aregnu, Muru, Pioggiola, Corbara, Costa, Olmetu, Vulpajola, Viggianellu, Cuttuli, Sarrola Carcopinu, Prunelli, Fium’Orbu, Ortu, Campile, San Fiurenzu, Santu Petru-di-Tenda notamment. Il existe même des confréries mixtes. A Aiacciu, une toute nouvelle confrérie vient même de se créer samedi dernier.
- Le but est-il resté le même qu’à l’origine ?
- Les confréries ne sont pas en dehors de la pratique religieuse. Leur but était d’abord d’accompagner la liturgie. Dans les années 80-90, après le Riacquistu, le contexte et l’écho, qu’elles rencontraient, n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. Certains curés étaient hostiles aux confréries, des gens également. Les gens n’avaient plus l’habitude de voir des groupements, des associations dans les villages. Une confrérie est une association dont les statuts sont approuvés par l’autorité canonique. Elle était souvent mal perçue. Il a donc fallu reconquérir l’espace social et l’espace villageois. Peu à peu, grâce à la ténacité de certains confrères, les gens ont peu à peu réadhéré et l’on a vu refleurir les confréries. Mais ce fut un long combat.
- Les statuts des confréries ont-ils évolué ou sont-ils encore basés sur les mêmes valeurs ?
- Toutes les confréries n’ont pas les mêmes statuts, même s’ils sont tous plus ou moins harmonisés. Mais elles ont toutes les mêmes devoirs : la solidarité, l’entraide, l’assistance, mais aussi la présence au culte, c’est-à-dire le suivi des cérémonies, les baptêmes, les mariages, les enterrements, les fêtes votives, les actions caritatives, les concerts de solidarité, la Semaine Sainte avec les processions circulaires a Cerca, a Granitula et les pénitents... Un confrère est là pour servir. Etre confrère, c’est un engagement au quotidien, tout au long de l’année, dans son village, sa commune, sa communauté, son quartier. Déjà faire quelque chose dans un village, aujourd’hui, c’est énorme quand on voit l’abandon du rural et la désertification de l’intérieur. Les confréries sont les remparts contre la désagrégation du tissu humain, social et sociétal. C’est un marqueur de l’identité corse et même de l’identité d’un lieu. Les vêtements et les bannières, sous lesquelles se regroupent des communautés, sont un signe d’appartenance de la dévotion à un Saint avec les couleurs et les codes qui vont avec. Elles reflètent aussi l’identité de chaque village et de chaque quartier dont le Saint est le patron. C’est important parce que cela fait vivre l’esprit et l’engagement dans les villages et dans les villes. A Bastia par exemple, le quartier San Ghjisé a son archiconfrérie propre dédiée à Saint Joseph, la Citadelle et la Cathédrale Santa Maria ont la confrérie Santa Croce, le Centre-ville a la confrérie San Roccu avec des jeunes, l’Immaculée Conception près de Saint Jean a la confrérie San Carlo Borromeo, Saint Antoine… Il y a quelques années à Corti, a été présentée une exposition qui s’intitulait : « Confréries de Corse, une société idéale ». Les confréries sont des vecteurs de sociabilité et, en même temps, des mémoires vivantes, parce qu’elles continuent de faire vivre des traditions orales qui, sans elles, auraient certainement disparu. Elles font aujourd’hui partie intégrante de la vie insulaire.
- Vous avez parlé de « littérature musicale ». Peut-on associer les confréries à la musique liturgique ? En sont-elles les garantes ?
- Les confréries sont gardiennes de la liturgie de l’Eglise avec des textes liturgiques en latin et aujourd’hui des compositions en langue corse. Elles entretiennent un répertoire de chants anciens sacrés où l’on chante en Corse, mais aussi en crusca qui est un mélange de toscan et de corse, notamment pour certains chants de la Semaine Sainte. Elles perpétuent l’héritage musicale des Servites de Marie au XVIIIe siècle, de San Leonardo di Porto Maurizio, de Saint Alphonse de Liguori. Les chants d’A Lira Sacra, réédités au début du XIXe siècle grâce aux Oblats du Père Albini à Vicu, Mgr Paul-Matthieu de la Foata et sa célèbre Nanna di u Bambinu, les pastorales et chants de Noël… Les confréries ont maintenu et conservé ce patrimoine immatériel qui est unique et inestimable avec des expressions très différentes suivant les régions. On ne chante pas de la même façon à Bunifaziu, en Castagniccia ou dans le Centre Corse. À Bunifaziu, par exemple, on peut chanter à plusieurs voix, mais c’est principalement de la monodie. Le chant est aussi l’expression profonde de l’identité d’un lieu. On assiste aujourd’hui à un renouvellement de l’esthétique sonore avec des nouvelles compositions en langue corse. Les messes en Corse sont une revendication très identitaire du Riacquistu dans les années 73. Mais, à ce jour, il n’y a toujours pas de missel en langue corse. Les confréries peuvent agir pour remettre ce chantier sur la table.
- Ce nouveau souffle est-il dû aussi au fait qu’elles bénéficient désormais du soutien de l’Eglise de Corse ?
- Aujourd’hui, l’Eglise de Corse a pris la mesure de l’importance et de l’engagement des laïcs, par le biais des confréries. Elle a compris que les confréries corses sont un mouvement original et unique dans l’hexagone, qui n’existe pas ailleurs en France. C’est un des secrets de la Corse. C’est un phénomène qui englobe tout, la spiritualité, le social, le culturel et le politique. Les confréries ont pris position, il y a quelques années, contre la violence dans l’île en se réunissant publiquement avec une implication sociétale des gens et surtout des jeunes. Les confréries sont une force, un catalyseur de la société. Cette année à A Santa di Niolu, il y avait énormément de monde, 178 confrères venus de toute la Corse ont participé à la Granitula. C’était impressionnant ! C’est en fait toute la Corse qui fait la Granitula. La confrérie de Patrimoniu va participer à la messe papale. D’autres confréries vont intervenir tout au long de la célébration, ainsi que des groupes musicaux qui ont été engagés culturellement à des périodes où l’on n’avait pas autant de reconnaissance. C’est aussi en cela que la confrérie est un des cœurs de la piété populaire corse dans son ensemble.
- Qu’attendez-vous, en tant que Corse et en tant que confrère, de la venue du Pape ?
- Cette visite pontificale est historique. C’est un honneur pour la Corse. C’est aussi, je pense, une marque d’affection du Pape pour une île ou le culte marial est très fort et ancré dans l’histoire et dans l’âme du peuple corse. La dévotion à la Vierge Marie est très ancienne. Il ne faut pas oublier qu’en 2014, l’Evêque de Corse a renouvelé, pendant A Santa di Niolu, le serment d’appartenance et de dévotion de la Corse à la Vierge Marie, décidé lors de la Cunsulta d’Orezza et écrit dans la Constitution corse de 1735. Ce qu’on attend aussi de cette visite, c’est peut-être l’opportunité pour les gens de l’extérieur de porter un autre regard sur la Corse avec la découverte d’un riche patrimoine sacré, matériel et immatériel, mais aussi le partage de valeurs humaines qui sont universelles. C’est ce qui caractérise cette piété populaire, si chère au Saint Père, et qui s’incarne dans le peuple corse. Cette venue papale crée un mouvement très important pour la Corse, d’abord parce qu’elle touche de nombreux publics. Beaucoup de gens ont souhaité s’engager pour cet évènement qui n’est pas qu’un évènement sensationnel. On voit toujours la Corse sous son aspect saisonnier et balnéaire, là on est au cœur de l’hiver, avant Noël, on parle de valeurs, de patrimoine, d’histoire, de spiritualité, d’identité, de choses simples, humaines dont je pense que le monde a besoin aujourd’hui. Le Riacquistu a permis d’acquérir la conscience de l’importance de ce patrimoine pour l’humanité. Le patrimoine de la Corse contribue au patrimoine de l’humanité. C’est pour cela que nous désirons offrir au Saint Père le Pas de Saint Martin, père du monachisme primitif en Occident au IVème siècle, et dont la Corse possède un énorme patrimoine, elle qui appartient au Patrimonium Sancti Petri, le patrimoine de Saint Pierre. La devise du saint patron de Patrimoniu, San Martinu - « non recuso laborem, si adhuc ne cessarus » (Je ne refuse pas de travailler) – contient les valeurs portées par les confréries corses.
Propos recueillis par Nicole MARI.
- Les confréries sont l’une des incarnations de la piété populaire en Corse. C’est un phénomène qui remonte au Moyen âge, à la période franciscaine. Au départ, ce sont des groupements de laïcs qui se réunissent pour résoudre des problèmes sociétaux : la misère, l’entraide, enterrer les morts, notamment en période de peste, l’assistance aux malades, construire et embellir les lieux de culte, commander des œuvres d’art, entretenir les répertoires liturgiques transmis par tous les ordres qui se sont succédés en Corse : les Franciscains, les Capucins, les Servites de Marie, les Jésuites, les Oblats de Marie... Nous avons encore une littérature musicale très riche, héritée des missions par exemple, et qui est toujours vivante à l’intérieur des confréries, avec l’utilisation, à la fois, de chants sacrés monodiques au Sud dans le Pumonte et polyphoniques au Nord dans le Cismonte de la Corse.
- Les confréries ont-elles perduré malgré des fortunes diverses ?
- Elles ont perduré dans quelques lieux. Il y a eu un âge critique au XVIIIe siècle avec l’interdiction des confréries dans le royaume, y compris en Corse, par le Roi de France en 1782. Par un décret du 18 août 1792, la Révolution française interdit également les confréries qui ne sont autorisées, de nouveau, que sous l’Empire. Elles regagnent progressivement leur place au cours du XIXe siècle. Les confréries corses ont résisté. Il y a eu ensuite une grande période de déprise avec les deux guerres mondiales. Elles ont été recréées sous l’Empire. La guerre de 14-18 a saigné à blanc les communes, plusieurs milliers d’hommes dans la force de l’âge sont morts. Les confréries ont amorcé un déclin qui a été amplifié avec les conflits mondiaux puisque les hommes partaient au front, et que c’était eux qui étaient les principaux concernés. Beaucoup de confréries ont disparu. Il en restait peu d’actives et seulement dans quelques endroits en Corse, notamment à Aiacciu, Bastia, Bunifaziu, Cargese, Calvi, Brandu, Lota, Figarella, Corti, Vescovatu, un peu aussi en Castagniccia. Le renouveau s’est amorcé avec le Riacquistu dans les années 80-90.
- Pourquoi le Riacquistu, le renouveau culturel, s’est-il emparé des confréries !
- Les confréries ont, elles aussi, participé au Riacquistu culturale. Parmi des exemples, dans les années 80, la confrérie Santa Croce de Pruprià, la confrérie Saint Antoine de Piana a refait ses statuts en 1982 sous l’impulsion du père Louis Doazan, statuts qui ont été approuvés par l’autorité canonique. Puis, il y a eu la reconstruction de A cunfraternita SanGhjambattista d’Aiacciu qui a, elle aussi, créé des nouveaux statuts. Dans les années 90, Monseigneur Sauveur Casanova était évêque de Corse, des confréries se sont alors redynamisées : Aiacciu Notre-Dame de la Miséricorde, Sartène, Forciolu, A Cunfraterna di u Santissimu Crucifissu di a Pieve di a Serra avec de riches répertoires chantés… Les cérémonies du 500e anniversaire de la fondation d’Aiacciu ont vu défiler des centaines de confrères venus de toute la Corse. Depuis quelques années, il y a une accélération, un vrai sursaut. Beaucoup de confréries se reconstituent depuis une trentaine d’années dans le rural, dans des villages comme Marignana, Peri, Vicu, avec de nombreux jeunes et des femmes. A Speluncatu, Belgudè, l’Isula Rossa, Lavatoghju, Aregnu, Muru, Pioggiola, Corbara, Costa, Olmetu, Vulpajola, Viggianellu, Cuttuli, Sarrola Carcopinu, Prunelli, Fium’Orbu, Ortu, Campile, San Fiurenzu, Santu Petru-di-Tenda notamment. Il existe même des confréries mixtes. A Aiacciu, une toute nouvelle confrérie vient même de se créer samedi dernier.
- Le but est-il resté le même qu’à l’origine ?
- Les confréries ne sont pas en dehors de la pratique religieuse. Leur but était d’abord d’accompagner la liturgie. Dans les années 80-90, après le Riacquistu, le contexte et l’écho, qu’elles rencontraient, n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. Certains curés étaient hostiles aux confréries, des gens également. Les gens n’avaient plus l’habitude de voir des groupements, des associations dans les villages. Une confrérie est une association dont les statuts sont approuvés par l’autorité canonique. Elle était souvent mal perçue. Il a donc fallu reconquérir l’espace social et l’espace villageois. Peu à peu, grâce à la ténacité de certains confrères, les gens ont peu à peu réadhéré et l’on a vu refleurir les confréries. Mais ce fut un long combat.
- Les statuts des confréries ont-ils évolué ou sont-ils encore basés sur les mêmes valeurs ?
- Toutes les confréries n’ont pas les mêmes statuts, même s’ils sont tous plus ou moins harmonisés. Mais elles ont toutes les mêmes devoirs : la solidarité, l’entraide, l’assistance, mais aussi la présence au culte, c’est-à-dire le suivi des cérémonies, les baptêmes, les mariages, les enterrements, les fêtes votives, les actions caritatives, les concerts de solidarité, la Semaine Sainte avec les processions circulaires a Cerca, a Granitula et les pénitents... Un confrère est là pour servir. Etre confrère, c’est un engagement au quotidien, tout au long de l’année, dans son village, sa commune, sa communauté, son quartier. Déjà faire quelque chose dans un village, aujourd’hui, c’est énorme quand on voit l’abandon du rural et la désertification de l’intérieur. Les confréries sont les remparts contre la désagrégation du tissu humain, social et sociétal. C’est un marqueur de l’identité corse et même de l’identité d’un lieu. Les vêtements et les bannières, sous lesquelles se regroupent des communautés, sont un signe d’appartenance de la dévotion à un Saint avec les couleurs et les codes qui vont avec. Elles reflètent aussi l’identité de chaque village et de chaque quartier dont le Saint est le patron. C’est important parce que cela fait vivre l’esprit et l’engagement dans les villages et dans les villes. A Bastia par exemple, le quartier San Ghjisé a son archiconfrérie propre dédiée à Saint Joseph, la Citadelle et la Cathédrale Santa Maria ont la confrérie Santa Croce, le Centre-ville a la confrérie San Roccu avec des jeunes, l’Immaculée Conception près de Saint Jean a la confrérie San Carlo Borromeo, Saint Antoine… Il y a quelques années à Corti, a été présentée une exposition qui s’intitulait : « Confréries de Corse, une société idéale ». Les confréries sont des vecteurs de sociabilité et, en même temps, des mémoires vivantes, parce qu’elles continuent de faire vivre des traditions orales qui, sans elles, auraient certainement disparu. Elles font aujourd’hui partie intégrante de la vie insulaire.
- Vous avez parlé de « littérature musicale ». Peut-on associer les confréries à la musique liturgique ? En sont-elles les garantes ?
- Les confréries sont gardiennes de la liturgie de l’Eglise avec des textes liturgiques en latin et aujourd’hui des compositions en langue corse. Elles entretiennent un répertoire de chants anciens sacrés où l’on chante en Corse, mais aussi en crusca qui est un mélange de toscan et de corse, notamment pour certains chants de la Semaine Sainte. Elles perpétuent l’héritage musicale des Servites de Marie au XVIIIe siècle, de San Leonardo di Porto Maurizio, de Saint Alphonse de Liguori. Les chants d’A Lira Sacra, réédités au début du XIXe siècle grâce aux Oblats du Père Albini à Vicu, Mgr Paul-Matthieu de la Foata et sa célèbre Nanna di u Bambinu, les pastorales et chants de Noël… Les confréries ont maintenu et conservé ce patrimoine immatériel qui est unique et inestimable avec des expressions très différentes suivant les régions. On ne chante pas de la même façon à Bunifaziu, en Castagniccia ou dans le Centre Corse. À Bunifaziu, par exemple, on peut chanter à plusieurs voix, mais c’est principalement de la monodie. Le chant est aussi l’expression profonde de l’identité d’un lieu. On assiste aujourd’hui à un renouvellement de l’esthétique sonore avec des nouvelles compositions en langue corse. Les messes en Corse sont une revendication très identitaire du Riacquistu dans les années 73. Mais, à ce jour, il n’y a toujours pas de missel en langue corse. Les confréries peuvent agir pour remettre ce chantier sur la table.
- Ce nouveau souffle est-il dû aussi au fait qu’elles bénéficient désormais du soutien de l’Eglise de Corse ?
- Aujourd’hui, l’Eglise de Corse a pris la mesure de l’importance et de l’engagement des laïcs, par le biais des confréries. Elle a compris que les confréries corses sont un mouvement original et unique dans l’hexagone, qui n’existe pas ailleurs en France. C’est un des secrets de la Corse. C’est un phénomène qui englobe tout, la spiritualité, le social, le culturel et le politique. Les confréries ont pris position, il y a quelques années, contre la violence dans l’île en se réunissant publiquement avec une implication sociétale des gens et surtout des jeunes. Les confréries sont une force, un catalyseur de la société. Cette année à A Santa di Niolu, il y avait énormément de monde, 178 confrères venus de toute la Corse ont participé à la Granitula. C’était impressionnant ! C’est en fait toute la Corse qui fait la Granitula. La confrérie de Patrimoniu va participer à la messe papale. D’autres confréries vont intervenir tout au long de la célébration, ainsi que des groupes musicaux qui ont été engagés culturellement à des périodes où l’on n’avait pas autant de reconnaissance. C’est aussi en cela que la confrérie est un des cœurs de la piété populaire corse dans son ensemble.
- Qu’attendez-vous, en tant que Corse et en tant que confrère, de la venue du Pape ?
- Cette visite pontificale est historique. C’est un honneur pour la Corse. C’est aussi, je pense, une marque d’affection du Pape pour une île ou le culte marial est très fort et ancré dans l’histoire et dans l’âme du peuple corse. La dévotion à la Vierge Marie est très ancienne. Il ne faut pas oublier qu’en 2014, l’Evêque de Corse a renouvelé, pendant A Santa di Niolu, le serment d’appartenance et de dévotion de la Corse à la Vierge Marie, décidé lors de la Cunsulta d’Orezza et écrit dans la Constitution corse de 1735. Ce qu’on attend aussi de cette visite, c’est peut-être l’opportunité pour les gens de l’extérieur de porter un autre regard sur la Corse avec la découverte d’un riche patrimoine sacré, matériel et immatériel, mais aussi le partage de valeurs humaines qui sont universelles. C’est ce qui caractérise cette piété populaire, si chère au Saint Père, et qui s’incarne dans le peuple corse. Cette venue papale crée un mouvement très important pour la Corse, d’abord parce qu’elle touche de nombreux publics. Beaucoup de gens ont souhaité s’engager pour cet évènement qui n’est pas qu’un évènement sensationnel. On voit toujours la Corse sous son aspect saisonnier et balnéaire, là on est au cœur de l’hiver, avant Noël, on parle de valeurs, de patrimoine, d’histoire, de spiritualité, d’identité, de choses simples, humaines dont je pense que le monde a besoin aujourd’hui. Le Riacquistu a permis d’acquérir la conscience de l’importance de ce patrimoine pour l’humanité. Le patrimoine de la Corse contribue au patrimoine de l’humanité. C’est pour cela que nous désirons offrir au Saint Père le Pas de Saint Martin, père du monachisme primitif en Occident au IVème siècle, et dont la Corse possède un énorme patrimoine, elle qui appartient au Patrimonium Sancti Petri, le patrimoine de Saint Pierre. La devise du saint patron de Patrimoniu, San Martinu - « non recuso laborem, si adhuc ne cessarus » (Je ne refuse pas de travailler) – contient les valeurs portées par les confréries corses.
Propos recueillis par Nicole MARI.