Tensions à Ajaccio : Face à la montée du trafic de drogue, l'heure de la mobilisation

Depuis le début de la semaine, l’affaire fait grand bruit. Dimanche dernier, aux alentours de 5h, deux agents de la propreté urbaine d’Ajaccio ont été menacés de mort dans le quartier des Cannes lors de leur tournée matinale. « Ils ont été abordés par deux individus, dont l’un, assez virulent, n’était pas du tout content de les voir sur les lieux. Ils leur ont dit de dégager et que s’ils revenaient, ils allaient les charcuter », indique Charles Voglimacci l’adjoint en charge de la propreté urbaine et de la sécurité, soulignant de surcroit qu’un des deux agents est « un jeune saisonnier qui a été profondément marqué par ces propos ». 
 
Dès le lendemain des faits, l’élu s’était rendu sur place, à la rencontre des agents de la propreté urbaine, en compagnie du premier adjoint, Alexandre Farina. Ce dernier avait alors pointé sur Twitter « des individus qui se livraient à un trafic de drogue » et marqué sa volonté de « signifier clairement à tous qu’il est hors de question que s’installent des caïdats dans nos quartiers ». « Aujourd’hui, la drogue gangrène notre île et détruit notre jeunesse dans une indifférence et un silence politique désespérants », avait-il déploré. Depuis, les agents puis la ville ont déposé plainte avec une volonté affichée que l’affaire ne soit pas banalisée. « On ne peut pas accepter que quiconque s’attaque à nos agents, ni même que des individus puissent décider qui entre ou sort du quartier. Nous sommes en République, il y a des lois et une liberté de circuler. Ces faits sont intolérables. Donc, nous avons voulu montrer qu’on ne laisserait pas passer ce genre de comportements », argue Charles Voglimacci.

L’adjoint rappelle par ailleurs « que la ville a investi 40 millions pour les travaux ANRU dans le quartier des Cannes et pratiquement autant dans le quartier des Salines ». « C’est un quartier qui a été totalement rénové, qui a été ouvert sur la mer, puisqu’on a coupé en deux la barre Mancini, et qui peut être relié désormais à ceux du Finosello et des Salines », explique-t-il en ajoutant : « Il y a de vieilles familles qui habitent là-bas depuis 40 ou 50 ans. Cela a toujours été un quartier populaire, où tout le monde se connait, se respecte ».

Toutefois, il concède y constater une « dégradation liée au trafic de stupéfiants » depuis quelques temps face à laquelle il souhaite que des mesures soient prises rapidement. « À partir de l’année prochaine, nous allons lancer un nouveau contrat de ville pour la période 2024-2030. J’ai demandé aux services de l’État de faire rentrer 4 quartiers prioritaires dans ce contrat de ville : a Mandarina, Bodiccione, Alzo di Leva et les Cannes », dévoile-t-il en appuyant : « Ce qui s’est passé il y a deux jours me donne malheureusement raison. C’est un quartier où il faut mettre plus de moyens financiers, il faut qu’il y ait plus de services publics, pour occuper le terrain comme nous l’avons fait à l’époque aux Jardins de l’Empereur où aujourd’hui les choses vont beaucoup mieux ». Il précise également avoir demandé « aux services de police municipale et intercommunale d’être plus présents » dans le quartier au cours des prochains jours. « Mais le but, ce n’est pas tous les matins de devoir escorter les services de la propreté urbaine. Ce n’est pas envisageable sur le long terme », souffle-t-il. 

Depuis la révélation des faits lundi, les réactions se multiplient pour soutenir les agents et dénoncer la montée en puissance des dealers dans le quartier, notamment du côté du mouvement nationaliste. « Nous souhaitons, comme beaucoup d’autres, que cette émotion se prolonge d’une prise de conscience et d’une mobilisation renforcées contre la drogue et contre tous ceux qui en tirent profit, et qui vont bien au-delà des dealers de quartier », écrit ainsi Femu a Corsica dans un communiqué. « Nous ne nous soumettrons jamais à ceux qui, dans notre pays, s'enrichissent en empoisonnant notre jeunesse. Alors que la Corse connait une perte de ses repères et que tous les marqueurs sociaux sont au rouge, cette situation favorise les trafics et la consommation de drogues et les comportements importés. Collectivement et politiquement, le peuple corse se doit de réagir et plus particulièrement sa jeunesse », fustige pour sa part Core in Fronte. Le parti indépendantiste a d’ailleurs organisé une opération d’affichage contre les dealers dans le quartier des Cannes ce mercredi soir.



 

𝗔 𝗗𝗥𝗢𝗚𝗔 𝗙𝗢𝗥𝗔
Action d'affichage et de tractage en cours des militants #CoreInFronte dans "le quartier interdit" de I Canni à Aiacciu.

Fora quelli chì a sparghjenu : Corsi ò strangeri.

𝗨𝗻'𝗵𝗲̀ 𝗻𝗲 𝗺𝗼𝗱𝗮 𝗻𝗲 𝗹𝗶𝗯𝗲𝗿𝘁𝗮̀! pic.twitter.com/6b8S9eEgOX
— Core in Fronte (@coreinfronte) August 16, 2023

« Ces tentatives d’intimidation sont pour nous inacceptables. Trop d’évènements de ce type, même moins médiatisés, nous rappellent à quel point la situation en Corse est devenue préoccupante », regrette encore le Partitu di a Nazione Corsa. Dans cette ambition d’exaspération générale, un appel à rassemblement populaire a été lancé par des habitants du quartier, mais aussi de nombreux acteurs politiques, associatifs et culturels, invitant tous ceux qui le souhaitent à se réunir jeudi à partir de 17h devant l’école élémentaire des Cannes. « C’est dans notre ADN de se mobiliser quand quelque chose de grave se passe sur l’île. Il faut marquer le terrain », relève Charles Voglimacci, « Après le tout, c’est que cela se passe dans le calme pour ne pas être contreproductif. Je fais confiance à l’intelligence collective et j’espère que cela se passera bien ».

Hasard du calendrier, ce mercredi matin, le procureur d’Ajaccio, Nicolas Septe, indiquait dans un communiqué qu’une « nouvelle opération d’interpellations de trafiquants de stupéfiants s’est déroulée mardi à l’arrivée d’un navire de la Corsica Linea à Bastia et qui devait inonder le marché en produits stupéfiants sur tout l’île dont la région de Porto-Vecchio et d’Ajaccio, et particulièrement les quartiers de Pietralba et des Cannes ». « 100kg de cannabis et près de 3 kilos de cocaïne » ont été saisis lors de cette opération. Menée sous l’autorité du parquet et d’un magistrat instructeur d’Ajaccio et mise en œuvre par la Direction Territoriale de la Police Judiciaire, les personnels de la BRI et du GIR de Corse, celle-ci a en outre a donné lieu à au moins quatre interpellations et permis, selon le procureur, de démanteler un réseau et d’assécher notamment « 4 points de deal du quartier des Cannes et de Pietralba ». Une conférence de presse doit être organisée jeudi par le parquet, afin d’apporter « plus de précisions quant aux ramifications de ce réseau ».