Quelle est la source de votre motivation à étudier la religiosité insulaire ?
Ma motivation est avant tout personnelle, car je suis moi-même actrice de cette religiosité. J’ai été élevée dans un environnement spirituel, notamment par ma grand-mère, qui m’a initiée aux rituels populaires. À cela s’ajoute mon propre vécu, qui m’a poussée à prolonger ce patrimoine immatériel vivant en parcourant la Corse. Mon projet a consisté à recenser, analyser et préserver une partie des coutumes et des traditions. Cette démarche m’anime depuis longtemps.
Le plus grand défi de mon travail de recherche a été de prendre du recul par rapport à mon implication personnelle, car je ressentais souvent que mes propres expériences reflétaient ce que j’observais. La religiosité est un marqueur identitaire puissant qui unit les individus, et il m’a fallu un certain détachement pour offrir une analyse aussi objective que possible. Ma thèse n’est qu’un point de départ : il reste encore tant de facettes à explorer.
Les traditions populaires sont-elles perçues comme substantielles par l’Église catholique ?
La religion, en tant que dimension culturelle, a profondément marqué nos sociétés, nos normes sociales et nos traditions artistiques. Elle joue un rôle essentiel dans la construction de l’identité collective et de la cohésion sociale. En Corse, les pratiques religieuses font partie intégrante du patrimoine culturel collectif et ne peuvent être dissociées de la manière dont les croyants s’approprient le sacré. Cela se manifeste à travers un système de croyances, de symboles et de rites. Ces éléments relient l’humain au divin et renforcent le tissu social. La religiosité populaire s’exprime souvent de manière orale, en s’appuyant sur le calendrier liturgique, mais elle va au-delà de la simple pratique religieuse, enrichissant la foi de multiples expressions collectives et culturelles. C’est cette culture vivante qui incarne les pratiques de dévotion, ancrées dans les Écrits mais aussi adaptées aux spécificités locales.
La déchristianisation a eu ses effets, mais comment la religiosité se manifeste-t-elle encore aujourd’hui en Corse ?
La religiosité populaire trouve ses racines dans la religion institutionnelle, mais elle dépasse souvent ce cadre, émergeant directement de la communauté. Elle ne dépend pas nécessairement de l’autorité du clergé. Bien que la déchristianisation ait marqué la Corse, on constate aujourd’hui une dynamique de renouveau. Par exemple, après un certain déclin, les confréries connaissent un véritable essor sur toute l’île. Au cours de mon enquête, de nombreux témoignages m’ont montré que l’engagement dans ces confréries est souvent motivé par un désir de préserver le patrimoine culturel, avant même la dimension religieuse. Les rituels, chants et autres pratiques traduisent une relation personnelle au divin, sublimée par la dimension communautaire. Ainsi, a cunfraterna est perçue comme une entité à part entière, dont les rites sont vécus et partagés avec ferveur. Ces dernières années, plusieurs fêtes religieuses ont été réactivées, chacune avec ses spécificités. La religiosité populaire reste donc bien présente et vivante, inscrite dans la culture corse d’aujourd’hui.
La religiosité populaire face au défi contemporain du principe de laïcité : qu’en est-il en Corse ?
La religiosité populaire constitue un pont entre l’institution religieuse et l’État laïc. Elle offre un espace souple où les membres de la communauté se retrouvent autour de pratiques culturelles, qui, bien que relevant du religieux, sont profondément ancrées dans le tissu social et culturel. Cet espace de médiation permet une coexistence entre sacré et profane, sans nécessiter la validation des autorités religieuses. Cela crée une forme de laïcité particulière, où la frontière entre l’État et la religion demeure perméable, maintenue par la puissance culturelle de ces pratiques populaires.
L’implication des élus corses dans les cérémonies religieuses et leur présence sur les réseaux sociaux pour célébrer les fêtes religieuses témoignent d’une certaine harmonie entre les dimensions religieuses et séculaires. En participant à ces rites, ils soulignent l’interconnexion entre les sphères civile et religieuse, montrant l’importance culturelle de ces pratiques dans la vie publique de l’île. Cette interaction illustre bien la manière dont la laïcité se manifeste en Corse, avec un respect mutuel des dimensions spirituelles et civiques.