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Les brèves

Rapport de l’Autorité de la concurrence : Analyse et propositions du PCF  27/11/2020

Le communiqué

Sur saisine du ministre des finances, l’Autorité de la Concurrence a remis au gouvernement un avis sur le degré de concentration du tissu économique de la Corse dans les domaines du service public de transport maritime, de la distribution du carburant, de la distribution des biens de consommation courante et enfin du traitement des ordures ménagères.
Le point de départ de cette intervention est le mécontentement face à la cherté de la vie en Corse. en 1989, des dizaines de milliers de salariés étaient descendus dans la rue pour dénoncer cette injustice alors que les dispositifs de réfaction de TVA et de continuité territoriale, censés amortir les surcouts liés à l’insularité, s’évaporés au détriment des consommateurs. La question du pouvoir d’achat se pose ainsi avec force en Corse où le revenu médian par habitant est le plus faible. En 2017 la moyenne nationale était de 1.759 euros mensuel, contre 1.669 euros en Corse (-5,1%). 18,7 % de la population vit sous le seuil de pauvreté avec moins de 1.055 euros par mois. L’écart de revenus est éclairant. 2.500 personnes, 1.160 ménages, 1 % de la population fiscale de l’île constituent la catégorie des très hauts revenus dans l’ile. Leurs revenus initiaux sont en moyenne 3,5 % plus élevés qu’en France de province. Leur revenu médian (144 000 euros) est le plus important après l’Île-de-France. Les plus jeunes et les plus âgées sont particulièrement concernés. Par rapport à la moyenne nationale l’écart est de 8,2 points pour les moins de 30 ans et 8,9 points pour les plus de 75 ans. Ils représentent 50 % de la population insulaire.
Le modèle économique de la Corse explique pour partie ces profondes inégalités. La Corse est la région de France métropolitaine la plus dépendante du tourisme qui génère un tiers du PIB. C’est un facteur aggravant en cas de retournement de tendance notamment sur le marché de l’emploi. L’impact de la crise sanitaire en fait la démonstration. Selon Pole Emploi en 2017, 70,4 % des projets de recrutement sur l’île concernaient des postes saisonniers. Au second trimestre 2020, l’économie régionale a perdu 6 840 emplois. Autre caractéristique particulière, la Corse est un marché étroit et captif. L’Inspection Générale des Finances (IGF) dans son rapport de 2018 tirait la conclusion suivante : "les conditions ne sont donc pas réunies, au sein de ce marché à taille réduite, pour que puisse fonctionner à plein le jeu de la concurrence. Dans plusieurs secteurs, comme le transport maritime et routier, le transport de fonds, la gestion des déchets, les grandes et moyennes surfaces commerciales, mais également la distribution de carburant, le marché, captif, des consommateurs corses est partagé entre un nombre limité d’entreprises, dont la situation peut être qualifiée d’oligopolistique".
Ce phénomène de concentration est constitutif d’une domination économique sans précédent. La reprise sulfureuse de l’ex-SNCM entre dans ce constat. En 2016, le Consortium des patrons corses avec CM Holding fait main basse sur la compagnie qui devient Corsica Linea. Plus de 90 % du capital de CM Holding est détenu par ses 15 premiers actionnaires. Ils sont en Corse les principaux acteurs de la chaîne d’approvisionnement, grande distribution, transport routier et logistique, distribution en gros d’alimentation et de boissons, location de véhicules, commerce de matériaux de construction et du BTP, presse quotidienne régionale. L’Autorité de la concurrence explique qu’en l’état du droit, il n’y a pas d’instrument juridique adapté pour appréhender cette question, sauf si des pratiques anticoncurrentielles sont mises en œuvre. Elle préconise "la mise en place d’outils de concurrence complémentaires" pour "mieux traiter les problèmes structurels de concurrence". Autrement dit pour sortir de cette situation contraire à l’intérêt général, la principale recommandation c’est de renforcer la logique qui en est à l’origine et non de développer la maitrise publique.
Pour la desserte publique maritime, la CdC devrait passer sous les fourches caudines de l’Agence de régulation des transports (ART) référent de la Commission européenne. Cette obligation se traduirait par un avis que la CdC pourrait ne pas suivre. L’expérience des tests marchés, baptisés "Test SNCM" par l’autorité européenne, est significative. En définitive l’Autorité de la Concurrence préconise d’accentuer l’abandon de souveraineté de l’Etat et de la CdC dont l’exercice des compétences est déjà fortement entravé. La dernière étape consiste à faire sauter le verrou la Délégation de service public (DSP). Des Obligations de service public (OSP) simples suffiraient avec le seul critère du moins disant. Par conséquent ce qui est en jeu c’est la desserte de service public des 5 ports de la Corse depuis le continent, ce sont les fréquences et les capacités, la régularité et la sécurité. L’interopérabilité entre les ports et les moyens de transports aériens et maritimes est mise en exergue pour réduire considérablement le périmètre du service déjà divisé ligne par ligne. La desserte serait concentrée sur les ports principaux et en escale sur les ports secondaires avec des amplitudes horaires évitant le stationnement à quai. Des navires seraient affectés au transport de passagers (ceux de CFF) et d’autres exclusivement au transport de marchandises. L’obligation du pavillon français premier registre n’est pas explicitement formulée.
La cherté des carburants elle aussi vient de loin. Elle est consécutive à la levée du contrôle des prix en 1985. Là encore l’autorégulation du marché ne s’est pas produite alors que le taux minoré de 7 points de TVA s’appliquait déjà. On comptait 4 opérateurs Total, BP, Shell, Esso avant qu’en 2010 le Groupe Rubis ne reprenne la totalité des actifs de Shell et en partie ceux de Total dans la perspective d’établir son réseau de stations-service. Rubis a acquis, par l’intermédiaire de sa filiale Rubis Terminal, l’intégralité des parts d’Esso au sein Dépôts Pétroliers de la Corse (DPLC). En 2017 c’est au tour de BP de céder ses parts. Au passage Rubis étoffe sont réseau de distribution qui passe du coup à 77 stations-service. La question on le voit n’est plus de dresser ponctuellement un procès verbal pour entente illicite sans effet, mais de contrôler les prix afin qu’ils baissent à la pompe. Sinon, comme on a pu le voir en plein confinement, même quand les cours du pétrole sont à la baisse celle-ci n’est pas répercutée. Les sur-marges (5 cts SP 95 et 6 cts gazole) continueront d’être pratiquées au détriment de l’automobiliste et sur le dos du contribuable puisque il s’agit de solidarité nationale. Rubis a distribué en 2017 10 millions de dividendes à ses actionnaires.
S’agissant de la cherté des produits alimentaires, l’Autorité de la concurrence souligne les caractéristiques d’un marché étroit, avec des surfaces de vente surdimensionnées, des structures logistiques et de stockages sous dimensionnées, et un besoin d’acheminement par voie maritime accru. S’il est reconnu qu’existent des réfactions de TVA et le franco port inclus dans la dotation de continuité territoriale, il n’y a aucune interrogation sur le fait que les consommateurs n’en bénéficient. La encore il n’est pas question d’évaluation et de transparence sur l’utilisation de cet argent public. Sur ce point, le rapport de l’IGF en 2018 indiquait : "plusieurs éléments spécifiques au territoire corse peuvent contribuer à la captation de rente par les acteurs dominants. […]L’application de taux de TVA réduits peut inciter les intermédiaires à privilégier le renforcement de leur marge plutôt qu’une répercussion complète sur le prix de vente à la consommation". L’introduction des enseignes de Hard discount n’étant pas admise, l’insuffisance de logique concurrentielle devient un argument pour ne rien changer et surtout ne rien demander au Consortium des patrons corses qui a la main mise sur la distribution.
A propos des déchets ménagers les crises successives ont mis en relief l’impasse dans laquelle la Corse se trouve. En l’absence de structures adéquates qui permettraient une plus grande efficacité de traitement, les mesures palliatives se succèdent et empêchent de mettre en œuvre un traitement vertueux intégrant les objectifs de tri sérieux (60% en 2021 selon le plan de la CdC ne l’était pas), une valorisation et une réduction du transport routier, l’arrêt du transfert sur le continent par voie maritime pour incinération de ce qui ne peut être enfoui ici faute de casier. La passation des marchés publics dans ces conditions est impactée. Au bout du compte cela se retrouve sur la feuille d’imposition avec des écarts très importants par rapport au continent alors que le potentiel fiscal des ménages est un des plus bas de France. Ainsi, la TEOM en Corse coûte en moyenne 184 euros par habitant par an, soit 56 % de plus que la moyenne métropolitaine (118 euros par habitant par an). On pourrait penser que cette surponction du contribuable incite à la prudence en la matière. Ce n’est pas le cas, l’Autorité de la concurrence propose une taxation incitative au bon comportement, alors que l’impasse actuelle est avant tout de la responsabilité des décideurs et non des ménages. Il revient donc à la CdC de réviser son plan d’élimination des déchets et à l’Etat d’intervenir le cas échéant pour garantir la sécurité sanitaire. Cela étant la mise en œuvre d’une politique nouvelle ne peut se solder par des augmentations supplémentaires de la fiscalité des ménages.
Enfin, la crise sanitaire n’a pas épargné la Corse – comme les autres régions de France. L’INSEE prévoit une chute de 35 % de l’activité économique en Corse due au confinement, alors qu’elle est de 33 % au niveau national. Les estimations les plus récentes permettent de souligner que la reprise des activités observée depuis le déconfinement de mai 2020 reste sous la moyenne nationale. Pour faire face aux difficultés attendues le Préfet de Corse, a indiqué qu’entre le début du confinement, le 17 mars, et le 5 mai 2020, l’État a versé « un total de 730 millions d’euros pour la Corse répartis sur les différents dispositifs mis en place avec notamment 230 millions d’euros pour le chômage partiel, 360 millions d’euros pour le prêt garanti par l’État, 10,9 millions d’euros pour le fonds de solidarité au bénéfice de 3.300 petites entreprises, 57 millions d’euros pour les reports de charges fiscales et 52,5 millions pour les reports de charges sociales ». L’INSEE constate qu’au 30 juin 2020 la part des salariés concernés par les mesures de chômage partiel est la plus élevée des régions métropolitaines à 13,7 %. Dans les secteurs de l’hébergement et de la restauration l’emploi s’est réduit d’un tiers fin juin 2020 par rapport à 2019. Afin d’aider ces secteurs, « 120 à 130 millions d’euros d’aides seront débloquées, auxquelles s’ajouteront des avances remboursables via la Caisse d’Aides au Développement Économique de la Corse » en complément du prêt garanti par l’Etat sur 5 ans à hauteur de 25 % du chiffre d’affaires.
Dans ce contexte la CdC est intervenue au printemps dernier à hauteur de 30 millions d’euros sur deux volets. Le premier est destiné au soutien des faibles revenus et au renforcement des dispositifs d’intervention au profit des plus démunis. Le second s’adresse aux entreprises. Le montant alloué au premier volet est de 2 millions d’euros, associé à d’autres dispositifs déjà contractualisés, il totalise 3,2 millions d’euros. Le montant alloué au second volet absorbe le reste soit 90 % par des apports exceptionnels significatifs associés à des programmes en cours d’exécution et au déploiement du Fonds national de solidarité de 1 milliard. Cela résume la philosophie de ce plan. Au mois d’octobre les dirigeants économiques qui sont la fois à la tête du Consortium des patrons corses et des Chambres consulaires ont réclamé au gouvernement une rallonge de 1 milliard d’euros. L’Exécutif de la CdC, l’ensemble des groupes à l’Assemblée de Corse ont fait consensus à ce propos avant de sceller à Poretta un Pacte de confiance avec la CCI. C’est 400 millions d’euros supplémentaires, incluant 300 millions de l’Etat, que la CdC devrait engager avec le plan de sauvegarde et de relance (Pianu di salvezza e di rilanciu) présenté à l’Assemblée de Corse fin novembre. Il convient de rappeler que ce soutien vient en complément des aides versées annuellement avec le Crédit d’impôt corse (56 millions d’euros) et du Fonds d’investissement de proximité (36 millions d’euros) en 2018. S’il est évident que la crise plonge dans la difficulté de nombreuses entreprises, justifiant de fait qu’elles soient soutenues, l’absence d’évaluation et l’obtention de ces aides sans garantie de l’emploi ou de maintien des salaires interroge d’autant plus que l’urgence sociale va en s’aggravant.
Dans tous les cas et sur les quatre points investigués par l’Autorité de la concurrence l’Etat dispose aussi bien avec ce rapport qu’avec celui de l’IGF des éléments pour :
  • rétablir la maitrise publique dans les domaines du service public de transport maritime, de la distribution du carburant, de la distribution des biens de consommation courante et enfin du traitement des ordures ménagères.
·         s’opposer à la casse du service public maritime et à la Commission européenne, 
·         promouvoir la transparence et mettre fin à la captation de la solidarité nationale,
·         évaluer les plans de relance économique et établir des contreparties sociales,
·         rétablir la justice fiscale, contrôler les prix et rendre du pouvoir d’achat aux ménages,
·         favoriser une issue à la crise des déchets sans augmentation de la fiscalité des ménages.
Ces propositions du Parti communiste français s’appuient sur l’analyse des focus structurant l’avis de l’Autorité de la concurrence.