
Neuf mois après votre élection, quel bilan tirez-vous de votre action parlementaire ?
Je tiens d'abord à faire preuve d’humilité dans ma réponse. N’étant pas un député sortant, j’ai dû apprendre le métier, comme chacun lorsqu’il débute dans une nouvelle fonction. J’ai abordé ce mandat avec beaucoup de sérieux et d’engagement, en cherchant un équilibre entre mon travail législatif à Paris et ma présence sur le terrain. Il est essentiel pour moi de défendre les projets de loi à l’Assemblée nationale tout en restant à l’écoute des habitants et des élus locaux. Ma circonscription est la plus rurale de Corse, elle regroupe plus de la moitié des communes de l’île et impose donc de nombreux déplacements. Je m’efforce d’être présent sur le territoire pour échanger avec les acteurs locaux et mieux comprendre leurs attentes.
Sur le plan parlementaire, plutôt que de m’exprimer sur tous les sujets, j’ai choisi de me concentrer sur ceux qui me semblent essentiels pour la Corse. J’ai notamment soutenu la création du CHU et porté une proposition de loi pour l’implantation d’un PetScan en Corse, qui est aujourd’hui la seule région de France à ne pas en être équipée. Ce sont des avancées importantes pour le territoire et je continuerai à défendre des projets concrets qui répondent aux besoins de la population.
Justement, le gouvernement vous semble-t-il suffisamment engagé sur ce dossier ? La réponse de Catherine Vautrin vous satisfait-elle ?
Je vois cette réponse en deux temps. D’abord, installer un PetScan en Corse, ce n’est pas un problème en soi. Comme l’a dit la ministre à Ajaccio, plusieurs hôpitaux et cliniques sont prêts à investir. Mais le vrai sujet, c’est la matière radioactive dont l’appareil a besoin pour fonctionner, et c’est là que ça coince. Aujourd’hui, la Corse n’a pas de cyclotron pour produire cette matière, et c’est ce point qui ralentit tout. Je comprends la position du gouvernement : pour aller vite et permettre aux patients d’avoir accès à cet examen il acte l’implantation d’un PetScan en Corse mais il faudra importer la matière radioactive depuis le continent, probablement de Provence. En cas de problème logistique ou de forte demande à Marseille, la Corse risque d’être reléguée en bout de chaîne, ce qui pourrait entraîner des retards inacceptables pour les patients. A mon avis son implantation doit se faire à Corte. Géographiquement, c’est un choix pertinent, car cela permettrait de réduire les distances entre Ajaccio et Bastia. Il faudra bien sûr créer les infrastructures nécessaires, mais le futur CHU va déjà structurer une offre de soins plus étoffée. De plus, un cyclotron à Corte s’inscrirait dans la dynamique de l’Université de Corse et de son pôle de recherche, en lien avec les technologies de santé. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que la recherche évolue rapidement. Ces équipements ne serviront bientôt plus uniquement au diagnostic, mais aussi à certains traitements. L’enjeu est donc bien plus large que la seule installation d’un PetScan. Obtenir un cyclotron demandera un véritable travail de conviction et de lobbying, car il faudra rallier une majorité de parlementaires pour faire avancer ce dossier au niveau national. C’est un combat que nous devons mener dès maintenant.
Vous êtes membre de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Quels sont les sujets qui vous ont le plus mobilisé ?
Plusieurs dossiers ont retenu mon attention. L’un des plus importants concerne l’agriculture, et en particulier le maintien de la filière bio, qui traverse une période difficile. Cette filière est essentielle pour notre souveraineté alimentaire et notre environnement, et j’ai tenu à lui apporter mon soutien. J’ai également beaucoup travaillé sur la question de l’eau, un enjeu crucial en Corse comme ailleurs. La gestion de cette ressource est un défi majeur, notamment en ce qui concerne l’entretien des cours d’eau. J’ai interrogé le gouvernement sur la nécessité d’une meilleure prise en charge, car aujourd’hui, certains cours d’eau sont laissés à l’abandon. En cas d’épisode cévenol, le risque est qu’ils débordent, reprennent leur cours naturel et menacent des habitations ou des infrastructures.
Un autre sujet préoccupant est la pollution aux microplastiques, qui touche particulièrement la Méditerranée. Cette mer, déjà soumise à une forte pression environnementale, est en train de devenir une véritable décharge à ciel ouvert. La lutte contre cette pollution doit être une priorité, aussi bien au niveau local qu’international. D’ailleurs, j’ai eu l’occasion d’intervenir comme orateur sur la pollution plastique à l’échelle mondiale, un problème dont les conséquences à long terme sont sous-estimées.
D’autres dossiers me mobilisent également, mais l’objectif reste le même : défendre un développement durable qui concilie protection de l’environnement et aménagement du territoire, sans opposer les enjeux économiques et écologiques.
Vous participez aux travaux de la mission d’information sur l’avenir institutionnel de la Corse, avec une position différente de celle des députés nationalistes. Comment abordez-vous ces discussions ? Maintenez-vous vos réserves sur un pouvoir législatif pour l’île ?
Sur cette question, ma position est plutôt médiane entre deux visions opposées. D’un côté, il y a ceux qui prônent le statu quo, considérant que l’adaptation législative actuelle suffit. De l’autre, il y a le projet gouvernemental, d’abord porté par Gérald Darmanin et aujourd’hui repris par François Rebsamen, qui repose sur un cadre validé par l’Assemblée de Corse sans pout autant faire l'unanimité.
Le principal point de divergence concerne la capacité normative, c’est-à-dire la possibilité pour la Collectivité de Corse de légiférer. Sur ce point, ma position est claire : je suis favorable à ce que la Collectivité de Corse puisse proposer des textes dans ses domaines de compétence. Il est logique que les élus locaux, qui connaissent les réalités du territoire, puissent être forces de proposition et adapter certaines réglementations aux spécificités corses.
En revanche, là où je mets des réserves, c’est sur la possibilité pour l’Assemblée de Corse de légiférer seule, sans contrôle parlementaire. Certains sujets sont sensibles et exposés à des pressions économiques, politiques ou électorales. Prenons l’exemple de la fiscalité : si la Collectivité obtenait un pouvoir législatif total dans ce domaine, qu’est-ce qui empêcherait certains groupes d’exercer des pressions pour obtenir des avantages particuliers ? De la même manière, si le droit du travail devenait une compétence insulaire, quelles garanties aurions-nous contre une éventuelle remise en cause de certaines protections sociales ? L’ouverture d’un champ législatif ne peut pas se faire sans garde-fous.
Alors, comment trouver un équilibre ?
Pour moi, la solution serait d’instaurer un contrôle parlementaire sur les décisions législatives de la Collectivité de Corse, à travers une instance spécifique. Cela pourrait prendre la forme d’une commission mixte, comme celle qui existe entre l’Assemblée nationale et le Sénat lorsque ces deux chambres doivent s’accorder sur un texte. Une autre option serait de confier ce rôle à une émanation de la commission des lois du Parlement, qui aurait l’expertise nécessaire pour examiner ces propositions. L’objectif n’est pas de brider l’autonomie, mais d’assurer un cadre juridique solide et de protéger les élus corses des pressions qu’ils pourraient subir. Il est facile de dire "on veut tout gérer seuls", mais une autonomie mal encadrée peut entraîner des déséquilibres. Nous engageons ici l’avenir de la Corse pour les générations futures, et prendre des précautions, ce n’est pas s’opposer à l’autonomie, c’est vouloir la construire sur des bases solides.
L’autonomie ne risque-t-elle pas d’accentuer la concentration des pouvoirs à Ajaccio au détriment des territoires ruraux ?
C’est un point qu’il ne faut pas négliger. L’autonomie ne doit pas se traduire par un transfert des compétences de Paris vers Ajaccio sans rééquilibrage territorial. Beaucoup d’élus locaux alertent déjà sur ce risque : si on renforce encore les pouvoirs de la Collectivité sans garantir une meilleure répartition, on risque d’accentuer la marginalisation des territoires ruraux et des petites communes, qui représentent pourtant l’essence même de la Corse.: la suppression des départements a renforcé la concentration des pouvoirs à Ajaccio. Si une nouvelle réforme institutionnelle va dans le même sens, elle risque d’accentuer ce déséquilibre. Il ne faudrait pas que la réforme à venir aggrave encore cette situation. Aujourd’hui, le pouvoir est entre les mains d’un seul homme, demain ce sera peut-être une femme, un élu de droite ou de gauche, peu importe. Le problème n’est pas la personne qui l’incarne, mais la mécanique institutionnelle qui peut favoriser une hypercentralisation.
Vous avez interpellé le ministre de l’Intérieur sur l’empreinte mafieuse en Corse et son lien avec l’évolution institutionnelle de l’île. Pensez-vous que ce risque est suffisamment pris en compte dans les discussions sur l’autonomie ?
Non, et ce sujet devrait être abordé de manière beaucoup plus directe. Aujourd’hui, on agit comme si cette problématique était secondaire, alors qu’elle est en réalité centrale. La preuve en est que même les associations anti-mafia restent extrêmement prudentes quant aux risques que l’autonomie pourrait engendrer. Jean-Toussaint Plasenzotti, par exemple, a tenu des propos marquants en affirmant que "l’autonomie de la Corse sera l’apogée de la mafia". Ce n’est pas une déclaration anodine, mais un avertissement sur les dangers réels que pourrait entraîner ce processus.
L’histoire nous montre que ce danger n’est pas une vue de l’esprit. En Sicile, il y a plusieurs décennies, la mafia avait tenté de soutenir un mouvement indépendantiste, espérant qu’un affaiblissement de l’État lui laisserait plus de liberté d’action. Je ne dis pas que l’autonomie conduit nécessairement à ce scénario, mais il est irresponsable de ne pas se poser la question. Le crime organisé ne se soucie pas du débat institutionnel, il cherche à s’adapter aux opportunités. Moins de contrôle extérieur, c’est potentiellement plus de possibilités d’influence locale.
Je tiens à être clair : je ne remets pas en cause l’intégrité de tous les élus. Mais il faut être lucide. Quand un territoire est marqué par des pressions économiques, politiques et parfois criminelles, la prise de décision devient plus compliquée. Un maire, un élu local, un acteur économique qui se retrouve face à des menaces peut difficilement peser seul. Il faut donc prévoir des garde-fous. Ceux qui minimisent la question répondent souvent : “Oui, mais le régalien ne sera pas transféré”. Cet argument ne tient pas. La justice et la sécurité resteront sous la compétence de l’État, d’accord, mais l’influence mafieuse ne passe pas nécessairement par le contrôle de la police ou des tribunaux. Elle se joue sur d’autres leviers : la fiscalité, l’aménagement du territoire, l’urbanisme, l’attribution des marchés publics… Si demain, la Collectivité de Corse obtient un pouvoir législatif sur ces sujets, qui garantira que certaines décisions ne seront pas prises sous pression ? Qui empêchera des dérives clientélistes ?
L’exemple de Scandola est parlant. Le gouvernement avait proposé un cadre strict pour protéger la réserve, mais l’Assemblée de Corse l’a rejeté. Peut-on exclure que des intérêts économiques aient pesé dans cette décision ? Cet épisode illustre bien le fait que l’État n’est pas toujours l’adversaire que certains décrivent et que l’Assemblée de Corse n’est pas toujours au-dessus de tout soupçon. Je ne dis pas que ce risque est le seul prisme par lequel il faut analyser l’évolution institutionnelle, mais il existe et il serait irresponsable de l’ignorer. Certains préfèrent esquiver le débat en prétendant qu’il n’y a pas de lien, mais ce n’est pas sérieux. Il faut regarder la réalité en face et réfléchir aux mécanismes qui permettront d’éviter que l’autonomie ne devienne, comme le craignent certains, une porte ouverte à des dérives
Vous estimez que la Corse peine à affronter certaines réalités en matière de lutte contre la criminalité. Quelles garanties devraient être mises en place pour s’assurer que la réforme institutionnelle ne fragilise pas la lutte contre le crime organisé ?
En Corse, la situation est bien connue, et je ne cesse de la dénoncer, même si cela ne plaît pas toujours. D’un côté, on exprime notre mécontentement face à l’inaction de l’État mais dès qu’il s’agit d’adopter des mesures difficiles, on préfère botter en touche. On refuse d’affronter certaines réalités, sous prétexte qu’elles sont inconfortables. Cela montre bien que certaines décisions nécessitent un niveau de responsabilité et de prise de recul qui dépasse les seuls enjeux locaux.
Regardons le débat sur le régime des repentis. En Italie, ce dispositif a permis de véritables avancées contre la mafia. Pourtant, en Corse, on nous explique qu’il vaut mieux ne rien toucher. Pourquoi ? Parce que c’est une question délicate, qui touche à des drames humains. Je comprends parfaitement qu’une famille ayant perdu un proche puisse être choquée par l’idée qu’un criminel, en échange de sa coopération, bénéficie d’un allègement de peine. Mais comment peut-on lutter efficacement contre la criminalité organisée si l’on refuse d’utiliser les seuls outils qui ont prouvé leur efficacité ailleurs ?
C’est comme refuser un traitement sous prétexte qu’il a des effets secondaires. Bien sûr, il y a toujours des conséquences à prendre en compte, mais se priver d’un levier essentiel sous prétexte qu’il est difficile à accepter, c’est condamner toute politique de démantèlement des réseaux criminels à l’échec.
Si cette réforme institutionnelle aboutit, il faudra impérativement garantir que la lutte contre la criminalité organisée ne soit pas affaiblie. Cela implique plusieurs choses : d’abord, que les compétences régaliennes restent pleinement sous le contrôle de l’État. Ensuite, qu’aucune décision politique ne vienne entraver l’application des dispositifs de lutte contre le crime organisé sous la pression d’intérêts locaux ou de considérations électorales. Il ne suffit pas d’affirmer que l’État restera garant du régalien. Ce qu’il faut, ce sont des garanties concrètes, qui assurent que la lutte contre la criminalité ne sera pas un sujet tabou, et qu’aucune réforme ne viendra affaiblir les moyens d’action contre ces réseaux.
La Collectivité de Corse a adopté un rapport sur la criminalité organisée. Quelle est votre analyse ? Va-t-il dans le bon sens ?
Je suis très critique sur ce rapport car, selon moi, il ne répond pas pleinement aux attentes. Bien sûr, il contient certains éléments intéressants, notamment en matière d’éducation. Je partage l’idée qu’il faut agir dès le plus jeune âge pour déconstruire le culte du « héros » criminel et montrer aux enfants que les véritables modèles sont ceux qui se lèvent chaque matin pour travailler et construire, et non ceux qui prospèrent par l’intimidation. Cette sensibilisation dans les écoles et les lycées est une bonne initiative, et je la salue.
Mais pour le reste, je trouve ce document largement insuffisant. Certaines propositions paraissent déconnectées de la réalité. Par exemple, l’idée d’apposer des autocollants dans les établissements scolaires pour sensibiliser à la lutte contre la drogue semble bien peu de chose face à l’ampleur du problème. Ce n’est pas avec des symboles que l’on réglera une problématique aussi complexe. Là où j’attendais une prise de position forte, notamment sur le renforcement du parquet national anti-criminalité, le rapport reste dans le flou. Pourtant, c’est un levier essentiel dans la lutte contre ces réseaux. Ce manque de clarté me semble être une occasion manquée.
Gérald Darmanin a annoncé un renforcement de l’arsenal juridique. Ces annonces vous semblent-elles adaptées à la situation de l’île ?
Je ne peux que me féliciter des annonces du ministre, mais encore faut-il que ces moyens soient réellement mobilisés pour lutter efficacement contre la criminalité organisée. Il ne s’agit pas d’instaurer une politique de contrôles excessifs qui compliquerait inutilement la vie des citoyens corses, ni d’alourdir la bureaucratie sous prétexte d’afficher de bons résultats statistiques. Ces ressources doivent être déployées là où elles sont indispensables, là où l’urgence est réelle et où elles peuvent avoir un impact concret. C’est pourquoi je suis ce dossier de très près, pour m’assurer que les décisions prises à Paris se traduiront par des actions concrètes sur le terrain. Car le combat n’est pas gagné d’avance. Il y a des clivages politiques, des groupes qui s’opposent à ces mesures, et leur mise en œuvre risque de se heurter à des résistances. L’enjeu, maintenant, est de garantir que ces annonces ne restent pas de simples effets d’annonce, mais qu’elles se traduisent par une politique efficace et durable. Ce que je trouve regrettable, c’est que l’État prenne enfin la mesure du problème et engage des moyens, alors que la Collectivité de Corse ne semble pas saisir l’urgence de la situation. Ne pas reconnaître que ces dispositifs sont indispensables, c’est une posture difficile à comprendre. Honnêtement, je ne m’attendais pas à une telle réaction.