Plantation de jeunes oliviers en Casinca. Photo CNI.
Le Conseil d’Etat vient de mettre un terme au bras de fer qui dure depuis presque dix ans entre les oléiculteurs et les pépiniéristes corses concernant l’interdiction par arrêté préfectoral du 30 avril 2015 de faire rentrer des plants et des végétaux dans l’île. Par une décision tombée le 10 octobre 2024, la Haute Cour a accepté la requête de l'Union nationale des entreprises du paysage (UNEP) qui l’avait saisi le 28 septembre 2021 pour faire annuler cette interdiction. Le Conseil d’Etat demande donc au ministre de l'Agriculture d'abroger l’arrêté d'interdiction dans un délai d'un mois. A partir de là, tous les plants et les végétaux, des professionnels comme des particuliers, pourront rentrer librement dans l’île. C’est une victoire indéniable pour les pépiniéristes et un revers certain pour les oléiculteurs qui avaient pris la tête de la bataille.
Une bactérie tueuse
L’affaire remonte à 2013 lorsqu’on apprend qu’une bactérie tueuse de végétaux ravage les oliveraies de la région des Pouilles en Italie, commence à s’étendre à d’autres régions de la péninsule et menace les pays alentour. L’Allemagne et l’Espagne sont touchées. En France, des plants contaminés sont découverts dans le Var et en Corse qui importe massivement toutes sortes de plants de végétaux, notamment de Toscane, mais aussi d’Espagne. Contrairement à d’autres parasites comme le cynips qui attaque douloureusement la châtaigneraie, il n’y a aucun moyen d’éradiquer la Xylella et de guérir les végétaux infectés. Face au risque réel d’extension de la bactérie dans l’île et à la menace qui pèse sur les filières végétales - oléiculture, agrumes, plantes aromatiques, vigne, amandiers… - et sur la biodiversité, les agriculteurs et les partis nationalistes forment un collectif et montent au créneau pour demander le blocus des importations, le temps de structurer un dispositif de protection efficace. Le Collectif exige le renforcement des contrôles portuaires, l’obligation de traçabilité des végétaux importés - au-delà des simples passeports phytosanitaires européens - et un plan de développement de la production de plants au niveau local. Ils finissent par arracher au forceps un arrêté préfectoral interdisant les introductions de plantes hôtes, quelques 300 végétaux, sauf dérogation expresse au cas par cas, mais dans des conditions non définies.
Un arrêté flou
L’arrêté, qui ménage la chèvre et le chou, satisfait, dans un premier temps, les oléiculteurs. Mais le flou dans les conditions de dérogation va vite les faire déchanter. Se disant « étranglés » par l’embargo qui fait chuter leur chiffre d’affaires, les jardineries, paysagistes et pépiniéristes insulaires s’engouffrent dans cette brèche inattendue pour contourner l’arrêté d’interdiction. Les dérogations flambent, les plants rentrent par semi-remorques entiers, notamment les plantes et oliviers d’ornement en provenance d’Italie, et les plants d’agrumes – orangers et clémentiniers - en provenance d’Espagne et des Baléares, région où la bactérie a également été détectée. Très vite, les agriculteurs, l’Office de l’environnement, l’ODARC et l’Exécutif nationaliste accusent l’Etat « de multiplier les dérogations sur les importations de plants à risque et de zones à risque et ne pas assurer la sécurité sanitaire de l’île » et exigent des « plants certifiés ». La relance de la production locale de plants, financée par la Collectivité territoriale, et le développement par le Conservatoire botanique de la marque Corsica Grana ne parviennent cependant pas à satisfaire l’énorme demande. D’autant que les plants italiens et espagnols sont moins chers à l’achat, même si depuis, coûts de transport obligent, les prix, là aussi, s’envolent. Découragés par la pénurie de plants et le spectre de la Xylella, nombre d’oléiculteurs renoncent à étendre leurs exploitations et les jeunes agriculteurs se tournent vers d’autres filières.
Un recours en justice
En 2021, le bras de fer s’amplifie. L’UNEP, qui juge l’embargo « inefficace » et les contrôles suffisants, décide de saisir la justice pour « faire entendre ses droits » et annuler l’interdiction. Son recours auprès du tribunal administratif de Bastia pour « excès de pouvoir » et son courrier au ministre de l'Agriculture restant lettre morte, le syndicat adresse une requête au Conseil d’Etat demandant « l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre sur sa demande ». Il formule deux requêtes principales « d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a rejeté sa demande d'abrogation de l'arrêté du préfet de Corse n° 15-580 du 30 avril 2015 relatif à la prévention de l'introduction de Xylella fastidiosa en Corse » et « d'enjoindre au ministre de l'agriculture et de l'alimentation d'abroger cet arrêté dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ». Estimant que la non-réponse de l’Etat, son « refus d'abroger un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet… » peut être considéré comme un « excès de pouvoir » et que l’arrêté d’interdiction d’importation est « contraire au droit européen sur le principe de plantation et de circulation de végétaux » dans l’espace communautaire, le Conseil d’Etat donne raison à l’UNEP.
La colère des oléiculteurs
Si la décision du Conseil d’Etat réjouit les professionnels de la vente des plantes, elle déchaine une nouvelle colère chez les deux syndicats oléicoles. « De toute façon, on s’y attendait. Ce qui est extraordinaire, c’est que, pour une fois, même le ministère de l’Agriculture a traîné des pieds pour l’annulation du décret. Même eux avaient compris à quel point cela peut être dangereux pour une île, comme la Corse, et pour n’importe quelle île d’ailleurs. Finalement, ce sont ceux qui sont le plus loin de la réalité, les plus perchés, c’est-à-dire le Conseil d’État, qui a tranché et qui a donné la main aux marchands de plantes », réagit Fabienne Maestracci, présidente du Syndicat interprofessionnel des oléiculteurs de Corse (SIDOC) et présidente du syndicat AOC Oliu di Corsica. Ces deux syndicats affirment que la Xylella est loin d’être éradiquée dans l’île et que de nouveaux foyers ont été détectés « sur des oliviers d’ornement plantés à Bonifazio, l’année dernière », et qui ont été arrachés depuis. « L’Etat ne veut pas en entendre parler, il fait comme s’il n’y avait rien », ajoute Fabienne Maestracci. « Nous avons été aux Baléares et nous avons vu comment les Baléares ont pris ce phénomène à bras-le-corps. Ils ont fait toutes sortes d’expériences auxquelles ils nous ont invités à participer. Tous les travaux pratiques concernant la Xylella, qui sont faits sur les oliviers, les agrumes et les amandiers, le sont aux Baléares. Ils partagent leurs résultats avec nous, mais en Corse, nous ne sommes pas dans les mêmes conditions ».
Un péril immense
La présidente du SIDOC ne cache pas son inquiétude : « Si on laisse tout rentrer, il n’y a pas que la Xylella qui va rentrer. Ce n’est pas la première fois qu’une bactérie rentre par l’intermédiaire des plantes. Il y a eu le cynips, le charançon du palmier, la punaise diabolique… Et ça va continuer ! ». D’autant qu’elle avoue l’impuissance des oléiculteurs : « Que voulez-vous qu’on fasse ? On n’a pas d’argent. On n’a pas les moyens des syndicats de pépiniéristes et de paysagistes. On nous dit que c’est pour des raisons économiques. Mais qu’en sera-t-il si on perd toute l’agriculture de Corse et une partie du couvert végétal parce que la biodiversité est impactée ? N’importe qui est capable de comprendre que la libre entrée de végétaux dans cette île représente un péril immense pour la biodiversité, pour l’agriculture et pour la population ! Il y a des continents entiers où on ne laisse pas rentrer de plantes. En Nouvelle-Zélande, on vous fait laver vos chaussures quand vous arrivez. Essayez d’arriver avec un pot de fleurs en Australie, vous allez voir comment vous serez accueillis ! ». Fabienne Maestracci s’émeut du silence des élus et des associations de défense de l’environnement : « On espérait que les élus corses allaient réagir. Mais, pour l’instant, je n’ai pas vu une seule ligne. Nous avons été les plus virulents mais il n'y a pas que les oléiculteurs qui sont mis en danger. Ce problème touche tout le monde. Vous aussi dans votre quotidien, surtout si demain vous vous retrouvez dans un pays complètement pelé où la moitié des plantes a disparu parce qu’un parasite est arrivé de l’autre bout du monde ! Je parle non seulement en tant que présidente des deux structures, mais aussi en tant qu’agricultrice et en tant que femme corse qui défend sa terre, qui aime son île et qui ne veut pas la voir mettre en danger pour une histoire de chiffres d’affaires ». De leur côté, les services de l’Etat rassurent sur la poursuite des contrôles et rappellent la nécessité d’obtenir d'un passeport phytosanitaire pour importer des plants, ainsi que l’obligation pour les jardineries et pépiniéristes de vérifier la qualité des plants qu’ils vendent. De quoi laisser dubitatif au regard de la décennie écoulée !
N.M.
Une bactérie tueuse
L’affaire remonte à 2013 lorsqu’on apprend qu’une bactérie tueuse de végétaux ravage les oliveraies de la région des Pouilles en Italie, commence à s’étendre à d’autres régions de la péninsule et menace les pays alentour. L’Allemagne et l’Espagne sont touchées. En France, des plants contaminés sont découverts dans le Var et en Corse qui importe massivement toutes sortes de plants de végétaux, notamment de Toscane, mais aussi d’Espagne. Contrairement à d’autres parasites comme le cynips qui attaque douloureusement la châtaigneraie, il n’y a aucun moyen d’éradiquer la Xylella et de guérir les végétaux infectés. Face au risque réel d’extension de la bactérie dans l’île et à la menace qui pèse sur les filières végétales - oléiculture, agrumes, plantes aromatiques, vigne, amandiers… - et sur la biodiversité, les agriculteurs et les partis nationalistes forment un collectif et montent au créneau pour demander le blocus des importations, le temps de structurer un dispositif de protection efficace. Le Collectif exige le renforcement des contrôles portuaires, l’obligation de traçabilité des végétaux importés - au-delà des simples passeports phytosanitaires européens - et un plan de développement de la production de plants au niveau local. Ils finissent par arracher au forceps un arrêté préfectoral interdisant les introductions de plantes hôtes, quelques 300 végétaux, sauf dérogation expresse au cas par cas, mais dans des conditions non définies.
Un arrêté flou
L’arrêté, qui ménage la chèvre et le chou, satisfait, dans un premier temps, les oléiculteurs. Mais le flou dans les conditions de dérogation va vite les faire déchanter. Se disant « étranglés » par l’embargo qui fait chuter leur chiffre d’affaires, les jardineries, paysagistes et pépiniéristes insulaires s’engouffrent dans cette brèche inattendue pour contourner l’arrêté d’interdiction. Les dérogations flambent, les plants rentrent par semi-remorques entiers, notamment les plantes et oliviers d’ornement en provenance d’Italie, et les plants d’agrumes – orangers et clémentiniers - en provenance d’Espagne et des Baléares, région où la bactérie a également été détectée. Très vite, les agriculteurs, l’Office de l’environnement, l’ODARC et l’Exécutif nationaliste accusent l’Etat « de multiplier les dérogations sur les importations de plants à risque et de zones à risque et ne pas assurer la sécurité sanitaire de l’île » et exigent des « plants certifiés ». La relance de la production locale de plants, financée par la Collectivité territoriale, et le développement par le Conservatoire botanique de la marque Corsica Grana ne parviennent cependant pas à satisfaire l’énorme demande. D’autant que les plants italiens et espagnols sont moins chers à l’achat, même si depuis, coûts de transport obligent, les prix, là aussi, s’envolent. Découragés par la pénurie de plants et le spectre de la Xylella, nombre d’oléiculteurs renoncent à étendre leurs exploitations et les jeunes agriculteurs se tournent vers d’autres filières.
Un recours en justice
En 2021, le bras de fer s’amplifie. L’UNEP, qui juge l’embargo « inefficace » et les contrôles suffisants, décide de saisir la justice pour « faire entendre ses droits » et annuler l’interdiction. Son recours auprès du tribunal administratif de Bastia pour « excès de pouvoir » et son courrier au ministre de l'Agriculture restant lettre morte, le syndicat adresse une requête au Conseil d’Etat demandant « l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre sur sa demande ». Il formule deux requêtes principales « d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a rejeté sa demande d'abrogation de l'arrêté du préfet de Corse n° 15-580 du 30 avril 2015 relatif à la prévention de l'introduction de Xylella fastidiosa en Corse » et « d'enjoindre au ministre de l'agriculture et de l'alimentation d'abroger cet arrêté dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ». Estimant que la non-réponse de l’Etat, son « refus d'abroger un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet… » peut être considéré comme un « excès de pouvoir » et que l’arrêté d’interdiction d’importation est « contraire au droit européen sur le principe de plantation et de circulation de végétaux » dans l’espace communautaire, le Conseil d’Etat donne raison à l’UNEP.
La colère des oléiculteurs
Si la décision du Conseil d’Etat réjouit les professionnels de la vente des plantes, elle déchaine une nouvelle colère chez les deux syndicats oléicoles. « De toute façon, on s’y attendait. Ce qui est extraordinaire, c’est que, pour une fois, même le ministère de l’Agriculture a traîné des pieds pour l’annulation du décret. Même eux avaient compris à quel point cela peut être dangereux pour une île, comme la Corse, et pour n’importe quelle île d’ailleurs. Finalement, ce sont ceux qui sont le plus loin de la réalité, les plus perchés, c’est-à-dire le Conseil d’État, qui a tranché et qui a donné la main aux marchands de plantes », réagit Fabienne Maestracci, présidente du Syndicat interprofessionnel des oléiculteurs de Corse (SIDOC) et présidente du syndicat AOC Oliu di Corsica. Ces deux syndicats affirment que la Xylella est loin d’être éradiquée dans l’île et que de nouveaux foyers ont été détectés « sur des oliviers d’ornement plantés à Bonifazio, l’année dernière », et qui ont été arrachés depuis. « L’Etat ne veut pas en entendre parler, il fait comme s’il n’y avait rien », ajoute Fabienne Maestracci. « Nous avons été aux Baléares et nous avons vu comment les Baléares ont pris ce phénomène à bras-le-corps. Ils ont fait toutes sortes d’expériences auxquelles ils nous ont invités à participer. Tous les travaux pratiques concernant la Xylella, qui sont faits sur les oliviers, les agrumes et les amandiers, le sont aux Baléares. Ils partagent leurs résultats avec nous, mais en Corse, nous ne sommes pas dans les mêmes conditions ».
Un péril immense
La présidente du SIDOC ne cache pas son inquiétude : « Si on laisse tout rentrer, il n’y a pas que la Xylella qui va rentrer. Ce n’est pas la première fois qu’une bactérie rentre par l’intermédiaire des plantes. Il y a eu le cynips, le charançon du palmier, la punaise diabolique… Et ça va continuer ! ». D’autant qu’elle avoue l’impuissance des oléiculteurs : « Que voulez-vous qu’on fasse ? On n’a pas d’argent. On n’a pas les moyens des syndicats de pépiniéristes et de paysagistes. On nous dit que c’est pour des raisons économiques. Mais qu’en sera-t-il si on perd toute l’agriculture de Corse et une partie du couvert végétal parce que la biodiversité est impactée ? N’importe qui est capable de comprendre que la libre entrée de végétaux dans cette île représente un péril immense pour la biodiversité, pour l’agriculture et pour la population ! Il y a des continents entiers où on ne laisse pas rentrer de plantes. En Nouvelle-Zélande, on vous fait laver vos chaussures quand vous arrivez. Essayez d’arriver avec un pot de fleurs en Australie, vous allez voir comment vous serez accueillis ! ». Fabienne Maestracci s’émeut du silence des élus et des associations de défense de l’environnement : « On espérait que les élus corses allaient réagir. Mais, pour l’instant, je n’ai pas vu une seule ligne. Nous avons été les plus virulents mais il n'y a pas que les oléiculteurs qui sont mis en danger. Ce problème touche tout le monde. Vous aussi dans votre quotidien, surtout si demain vous vous retrouvez dans un pays complètement pelé où la moitié des plantes a disparu parce qu’un parasite est arrivé de l’autre bout du monde ! Je parle non seulement en tant que présidente des deux structures, mais aussi en tant qu’agricultrice et en tant que femme corse qui défend sa terre, qui aime son île et qui ne veut pas la voir mettre en danger pour une histoire de chiffres d’affaires ». De leur côté, les services de l’Etat rassurent sur la poursuite des contrôles et rappellent la nécessité d’obtenir d'un passeport phytosanitaire pour importer des plants, ainsi que l’obligation pour les jardineries et pépiniéristes de vérifier la qualité des plants qu’ils vendent. De quoi laisser dubitatif au regard de la décennie écoulée !
N.M.