Parmi les documents d’archives sur la Grande Guerre, il existe un fonds sonore exceptionnel classé au patrimoine mondial de l'UNESCO. Celui-ci se compose de nombreuses captations sonores documentées par des notes, des partitions et des transcriptions phonétiques. Ces enregistrements et documents sur papier ont été produits entre 1915 et 1918 lors d’une grande enquête ethnolinguistique et musicologique menée dans des camps d’incarcération allemands. Prisonniers russes, anglais, belges, français et italiens, militaires des troupes coloniales des Indes et d’Afrique ont participé à cette étude, dont neuf combattants corses. A l’occasion des commémorations du centenaire de l’armistice de 1918, la Collectivité de Corse a souhaité mettre à la disposition du public les enregistrements des chants, des récits et poésies de ces soldats captifs.
Témoignages sonores émouvants, ces enregistrements font découvrir de manière inédite l’héritage culturel, linguistique et musical de la Corse du XXe siècle.
Ainsi, trente archives sonores documentées par cent-huit pages de notes, de partitions et de transcriptions phonétiques seront consultables à partir de 11 novembre sur le site internet de la CdC.
La présentation de ces enregistrements et sources écrites a été l’occasion de dévoiler les contours de cette enquête scientifique allemande menée auprès des prisonniers corses. La découverte de parcours singuliers permet d’enrichir également les connaissances sur les conditions d’incarcération des soldats pendant la Grande Guerre. Enfin un éclairage est fait sur les usages linguistiques en Corse, sur les pratiques vocales marquées à la fois par la persistance de musiques coutumières et par l’arrivée des airs à la mode diffusés par les premiers phonographes.
Témoignages sonores émouvants, ces enregistrements font découvrir de manière inédite l’héritage culturel, linguistique et musical de la Corse du XXe siècle.
Ainsi, trente archives sonores documentées par cent-huit pages de notes, de partitions et de transcriptions phonétiques seront consultables à partir de 11 novembre sur le site internet de la CdC.
La présentation de ces enregistrements et sources écrites a été l’occasion de dévoiler les contours de cette enquête scientifique allemande menée auprès des prisonniers corses. La découverte de parcours singuliers permet d’enrichir également les connaissances sur les conditions d’incarcération des soldats pendant la Grande Guerre. Enfin un éclairage est fait sur les usages linguistiques en Corse, sur les pratiques vocales marquées à la fois par la persistance de musiques coutumières et par l’arrivée des airs à la mode diffusés par les premiers phonographes.
"Les neuf soldats corses ont été enregistrés dans différents camps, entre mars 1916 et février 1917" écrit dans l'avant-propos sur cette enquête Sébastien Ottavi, professeur au lycée Fesch d'Ajaccio, spécialiste de la Première Guerre Mondiale.
Ils sont relativement représentatifs des captifs de l’époque. Appartenant à des unités différentes, mais tous fantassins, la majorité a été capturée durant les premiers mois de la guerre, comme près de la moitié des prisonniers de l’armée française de 14-18, les deux tiers environ si l’on s’en tient à l’époque de l’enquête. Ces hommes, trop rapidement trop nombreux, au point que l’Allemagne a eu beaucoup de mal à organiser leur internement, peuplent alors les quelques trois-cent Läger installés outre-Rhin.
Comment en sont-ils arrivés là ?
Au sein de leur propre armée, un discours stigmatisant a été très rapidement diffusé pour décourager les redditions considérées comme des défaillances. Dès décembre 1914, des sanctions disciplinaires sont promises à ceux qui se seraient rendus « sans avoir épuisé tous les moyens de défense à leur disposition ». Début 1916, à la veille de Verdun, il est encore question d’enquêter, à leur retour, sur les conditions de leur capture. Si ces menaces sont restées lettre morte, sauf dans les rares cas de désertion à l’ennemi, c’est du fait de la masse des prisonniers, plus d’un demi million de Français, mais aussi parce que la norme comportementale attendue n’était que difficilement applicable aux réalités du combat. Les parcours de nos prisonniers le montrent. Certes l’un d’entre eux, le dernier à avoir été pris, l’a été au cours de ce qui ressemble fort à la reddition d’une unité entière en rase campagne, même si c’était sur un terrain bouleversé par un bombardement massif et traversé par les éclairs des lance-flammes. Deux autres à l’inverse, blessés l’un à la tête, l’autre à la cuisse, n’ont pu que se laisser secourir par les Allemands restés maîtres du terrain. Mais pour ceux qui restent, les circonstances de la capture sont plus difficiles à établir.
Toutes nous parlent néanmoins du chaos des combats. Celui de la première nuit de guerre du 173e régiment d’infanterie par exemple, où l’on s’est fusillé par erreur entre Français dans un bois, le 20 août 1914. Celui plus généralement de ces successions d’attaques et de contre-attaques au cours desquelles l’un ou l’autre camp ramasse au gré des flux et reflux de la bataille les égarés d’en face, ceux qui se sont trop avancés ou n’ont pas reculé assez vite. Avant d’être l’objet d’étude d’universitaires méticuleux, avant d’avoir rejoint le grand troupeau du peuple des camps, les quelques soldats qui se présentent à nous ont d’abord été des rescapés qui ont vu la mort de très près.
On en sait encore moins sur ce qui les a attendus ensuite. Les changements parfois fréquents de camp, peut-être au gré des arrivées, des besoins de main d’oeuvre, ou pour décourager les évasions. Le travail quotidien pour des rations que les colis des familles et de la Croix-Rouge se doivent de compléter. Une discipline sévère, progressivement adoucie par souci d’éviter des représailles aux prisonniers allemands. Mais toujours l’enfermement qui pèse et dont certains ne se remettront pas. Un monde de châlits et de baraques en planches comme en attestent les noms des lieux dans lesquels les enregistrements ont été réalisés, Nebenraum der Kirchenbaracke, Protestantenkirche-Baracke, Lesesaal des Lagers. Un monde où la culture humanitaire qui parvient à se faire jour dans un continent dévasté de violence fait naître une vie religieuse et culturelle pour laquelle justement ces lieux ont été érigés, avant que ne s’y installent pour quelques temps des ethnologues et leurs drôles de machines.
Ils sont relativement représentatifs des captifs de l’époque. Appartenant à des unités différentes, mais tous fantassins, la majorité a été capturée durant les premiers mois de la guerre, comme près de la moitié des prisonniers de l’armée française de 14-18, les deux tiers environ si l’on s’en tient à l’époque de l’enquête. Ces hommes, trop rapidement trop nombreux, au point que l’Allemagne a eu beaucoup de mal à organiser leur internement, peuplent alors les quelques trois-cent Läger installés outre-Rhin.
Comment en sont-ils arrivés là ?
Au sein de leur propre armée, un discours stigmatisant a été très rapidement diffusé pour décourager les redditions considérées comme des défaillances. Dès décembre 1914, des sanctions disciplinaires sont promises à ceux qui se seraient rendus « sans avoir épuisé tous les moyens de défense à leur disposition ». Début 1916, à la veille de Verdun, il est encore question d’enquêter, à leur retour, sur les conditions de leur capture. Si ces menaces sont restées lettre morte, sauf dans les rares cas de désertion à l’ennemi, c’est du fait de la masse des prisonniers, plus d’un demi million de Français, mais aussi parce que la norme comportementale attendue n’était que difficilement applicable aux réalités du combat. Les parcours de nos prisonniers le montrent. Certes l’un d’entre eux, le dernier à avoir été pris, l’a été au cours de ce qui ressemble fort à la reddition d’une unité entière en rase campagne, même si c’était sur un terrain bouleversé par un bombardement massif et traversé par les éclairs des lance-flammes. Deux autres à l’inverse, blessés l’un à la tête, l’autre à la cuisse, n’ont pu que se laisser secourir par les Allemands restés maîtres du terrain. Mais pour ceux qui restent, les circonstances de la capture sont plus difficiles à établir.
Toutes nous parlent néanmoins du chaos des combats. Celui de la première nuit de guerre du 173e régiment d’infanterie par exemple, où l’on s’est fusillé par erreur entre Français dans un bois, le 20 août 1914. Celui plus généralement de ces successions d’attaques et de contre-attaques au cours desquelles l’un ou l’autre camp ramasse au gré des flux et reflux de la bataille les égarés d’en face, ceux qui se sont trop avancés ou n’ont pas reculé assez vite. Avant d’être l’objet d’étude d’universitaires méticuleux, avant d’avoir rejoint le grand troupeau du peuple des camps, les quelques soldats qui se présentent à nous ont d’abord été des rescapés qui ont vu la mort de très près.
On en sait encore moins sur ce qui les a attendus ensuite. Les changements parfois fréquents de camp, peut-être au gré des arrivées, des besoins de main d’oeuvre, ou pour décourager les évasions. Le travail quotidien pour des rations que les colis des familles et de la Croix-Rouge se doivent de compléter. Une discipline sévère, progressivement adoucie par souci d’éviter des représailles aux prisonniers allemands. Mais toujours l’enfermement qui pèse et dont certains ne se remettront pas. Un monde de châlits et de baraques en planches comme en attestent les noms des lieux dans lesquels les enregistrements ont été réalisés, Nebenraum der Kirchenbaracke, Protestantenkirche-Baracke, Lesesaal des Lagers. Un monde où la culture humanitaire qui parvient à se faire jour dans un continent dévasté de violence fait naître une vie religieuse et culturelle pour laquelle justement ces lieux ont été érigés, avant que ne s’y installent pour quelques temps des ethnologues et leurs drôles de machines.
Entre 1916 et 1917, Jean Baptiste Quilichini, Jean Codaccioni, Vincent Orsatti, François Rasori, Carlo Anfriani, Jules Chiaramonti, Pierre Cesari, Jean Manuda et Dominique Mosconi sont sollicités dans le cadre de l’enquête de W. Doegen et H. Urtel.
Quels étaient les critères de sélection de ces soldats ?
Les notes des deux linguistes nous donnent quelques éléments de réponse.
Parmi ces neufs prisonniers corses, huit d’entre eux ont été enregistrés. Ils exercent les métier de militaire, d’agriculteur, d’éleveur, de charretier, de cocher ou de pâtissier. Le neuvième prisonnier originaire d’Ajaccio, maître répétiteur de profession, n’a pas été enquêté, mais mobilisé pour traduire certains chants corses en français. Originaires de Balagne, de Bastia, de Castagniccia, de Corte, de Bonifacio, de la Rocca et de l’Alta Rocca, ces prisonniers sont représentatifs d’une certaine diversité linguistique et culturelle de l’île.
Confrontées à un afflux inattendu de prisonniers, les autorités allemandes établissent dès 1915, près de trois cent camps d’internement. Ces camps de prisonniers regroupent principalement des prisonniers de guerre des armées française, russe, belge, anglaise et italienne, mais aussi des civils déportés. Lors de ses enquêtes, la Commission Prussienne sollicite neufs soldats corses dans les camps de Göttingen, Puccheim, Königsbrück, Stendal et Wittenberg. Le 9 Mars 1916, Jean-Baptiste Quilichini récite la parabole de l’enfant prodigue en présence de H. Urtel et de W. Doegen en salle de Lecture.
Il est alors détenu en Saxe Prussienne, à Stendal, un camp pour soldats. Capturé le 27 février 1915, Vincent Orsatti est interné dans le camp de Göttingen situé dans la province du Hanovre, puis enregistré le 6 avril 1916 par Wilhelm Doegen dans la salle des lectures. Carlo Anfriani et François Rasori se retrouvent internés en Saxe Prussienne à Königsbrück, un camp pour officiers et civils. Ils sont enregistrés séparément le 21 et 23 novembre 1916 dans une salle attenante à l’église du camp. Déporté à Wittenberg dans un camp de travail dédié aux travaux agricoles, forestiers et miniers, Jean Codaccioni échappe aux épidémies de Typhus qui y firent des milliers de morts. Il est enregistré au bureau d’information des prisonniers le 27 juin 2016.
Enfin, quatre prisonniers corses se retrouvent internés au camp de travail de Puccheim situé en Haute-Bavière, contraints à drainer des marais ou excaver une mine pour une usine d’acétone.
Le 30 janvier 1917 Jules Chiaramonti, Domenico Mosconi et Pierre Cesari participent aux enregistrements dans l’église protestante du camp. L’enquête auprès de Jean Mamudda se poursuit le 2 février suivant.
L'enquête complète et les chants, émouvants des soldats corses prisonniers en suivant ce lien :
https://www.isula.corsica/patrimoine/Une-enquete-ethnographique-aupres-des-soldats-corses-dans-les-camps-de-prisonniers-allemands-1916-1917_a87.html
Quels étaient les critères de sélection de ces soldats ?
Les notes des deux linguistes nous donnent quelques éléments de réponse.
Parmi ces neufs prisonniers corses, huit d’entre eux ont été enregistrés. Ils exercent les métier de militaire, d’agriculteur, d’éleveur, de charretier, de cocher ou de pâtissier. Le neuvième prisonnier originaire d’Ajaccio, maître répétiteur de profession, n’a pas été enquêté, mais mobilisé pour traduire certains chants corses en français. Originaires de Balagne, de Bastia, de Castagniccia, de Corte, de Bonifacio, de la Rocca et de l’Alta Rocca, ces prisonniers sont représentatifs d’une certaine diversité linguistique et culturelle de l’île.
Confrontées à un afflux inattendu de prisonniers, les autorités allemandes établissent dès 1915, près de trois cent camps d’internement. Ces camps de prisonniers regroupent principalement des prisonniers de guerre des armées française, russe, belge, anglaise et italienne, mais aussi des civils déportés. Lors de ses enquêtes, la Commission Prussienne sollicite neufs soldats corses dans les camps de Göttingen, Puccheim, Königsbrück, Stendal et Wittenberg. Le 9 Mars 1916, Jean-Baptiste Quilichini récite la parabole de l’enfant prodigue en présence de H. Urtel et de W. Doegen en salle de Lecture.
Il est alors détenu en Saxe Prussienne, à Stendal, un camp pour soldats. Capturé le 27 février 1915, Vincent Orsatti est interné dans le camp de Göttingen situé dans la province du Hanovre, puis enregistré le 6 avril 1916 par Wilhelm Doegen dans la salle des lectures. Carlo Anfriani et François Rasori se retrouvent internés en Saxe Prussienne à Königsbrück, un camp pour officiers et civils. Ils sont enregistrés séparément le 21 et 23 novembre 1916 dans une salle attenante à l’église du camp. Déporté à Wittenberg dans un camp de travail dédié aux travaux agricoles, forestiers et miniers, Jean Codaccioni échappe aux épidémies de Typhus qui y firent des milliers de morts. Il est enregistré au bureau d’information des prisonniers le 27 juin 2016.
Enfin, quatre prisonniers corses se retrouvent internés au camp de travail de Puccheim situé en Haute-Bavière, contraints à drainer des marais ou excaver une mine pour une usine d’acétone.
Le 30 janvier 1917 Jules Chiaramonti, Domenico Mosconi et Pierre Cesari participent aux enregistrements dans l’église protestante du camp. L’enquête auprès de Jean Mamudda se poursuit le 2 février suivant.
L'enquête complète et les chants, émouvants des soldats corses prisonniers en suivant ce lien :
https://www.isula.corsica/patrimoine/Une-enquete-ethnographique-aupres-des-soldats-corses-dans-les-camps-de-prisonniers-allemands-1916-1917_a87.html