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Après la percée du RN sur l'ile, les électeurs corses s'interrogent sur les raisons de ce score historique


Mario Grazi et MV le Mardi 2 Juillet 2024 à 18:55

Les résultats des élections législatives du 30 juin ont pris de court bien des électeurs, notamment en Corse, où le Rassemblement National (RN) est arrivé en tête dans deux des quatre circonscriptions. Ce vote, sans précédent dans l'histoire politique de l'île, interpelle sur les motivations des électeurs. CNI a recueilli leurs témoignages



Photo d'illustration Paule Santoni
Photo d'illustration Paule Santoni
On savait ce scrutin historique, mais on n'aurait jamais pensé qu'il le serait autant. Les premières élections législatives suivant une dissolution depuis celle décidée par Jacques Chirac en 1997 placent pour la première fois en France le Rassemblement National aux portes du pouvoir. Les résultats tombés dimanche 30 juin ont surpris beaucoup d'électeurs, et pas que sur le continent : pour la première fois en Corse, l’extrême droite passe en tête au premier tour des législatives dans deux des quatre circonscriptions de l'île, et met en danger les députés sortants.

Selon l’enquête Ipsos/Talan pour Radio France et France Télévisions, 44 % des électeurs au niveau national ont voulu exprimer leur rejet de la politique d’Emmanuel Macron en votant pour le RN. Mais quelle a été la motivation des électeurs corses ?

« Ils sortent bien de quelque part ces bulletins, non ? », peste Pierre-François, fonctionnaire contenais de 47 ans, « personne ne vote et au bout du compte il y a plus de 400 voix pour le RN à Corte. Certes, c'est 150 voix de moins qu’aux élections européennes, mais c’est toujours trop. D’autant que la candidate n’est même pas d’ici. C’est une parfaite inconnue à Corte, dans le centre-Corse et dans la circonscription. Il lui faudrait certainement un GPS pour trouver I Quatru Chjassi à Corte. Je suis écœuré. Par le passé on votait pour un candidat que l’on connaissait, pas pour quelqu’un parachuté par Paris qui vient chez nous pour nous expliquer comment nous devons vivre ».

Toussaint, retraitée, est sur la même longueur d’onde. Lui aussi, comme beaucoup d’électeurs, pensait que le vote contestataire à Corte s’était déjà exprimé aux élections européennes. « Je suis très surpris par ces résultats qui sont déprimants. Je n’aurais jamais pensé que la Corse se trouve elle aussi dans la mouvance nationale en faveur du RN. Cette Corse qui a toujours été une terre d’accueil, de respect, de liberté et de tolérance. En revanche, je suis moins surpris par les résultats du candidat de la majorité territoriale qui est donc sanctionnée. J’espère qu’ils sauront en tirer les leçons et se remettre en question ».

« C’est un résultat qui me satisfait », indique se son coté Jean-Marc, restaurateur, qui ne se cache pas d’avoir glissé son bulletin en faveur de François-Xavier Ceccoli. « Et je vous fais remarquer que c’est bien la première fois qu’un candidat soutenu par la majorité municipale arrive en tête à Corte ! Preuve d’abord que les élus locaux travaillent pour la population. Il fallait le souligner. Je suis, en revanche, scandalisé par les voix obtenues par la candidate totalement inconnue du RN. Comment peut-on voter pour quelqu’un qui n’est pas d’ici, mais surtout qui ne vit par à Corte ni même dans la circonscription. C’est honteux ! J’espère seulement que le candidat de la droite pourra mobiliser davantage encore lors du deuxième tour ».

Bernard, agriculteur, a toujours été nationaliste et il ne s’en cache pas. Certes, il n’a pas voté pour ces élections ni pour les Européennes « car il n’y avait pas de candidats de ma tendance politique. Mais les résultats m’interpellent à plus d’un titre et je pense que je me déplacerai au deuxième tour pour faire barrage à l’extrême droite. Pasquale Paoli doit se retourner dans sa tombe en voyant ces résultats. Comment des fascistes peuvent parvenir à réaliser un tel score à Corte, dans la circonscription et en Corse ? Jamais je n’aurai imaginé une telle chose possible chez nous. La venue massive de continentaux en Corse ces dernières années et la multiplication des constructions de résidences secondaires expliquent certainement cela. Notre peuple, notre culture, notre langue sont en danger. Il est grand temps de réagir, à commencer par les élus de la Collectivité de Corse ».

« C’est un début de victoire », s'est exclamé Jean-François, militaire à la retraite et habitant en centre Corse, « le RN a réalisé une très belle élection en Corse et dans la 2e circonscription. Je ne comprends cependant pas pourquoi la candidate a perdu 300 voix entre les Européennes et ces élections législatives. J’espère seulement que nous pourrons avoir au moins un député RN en Corse pour nous opposer à ce projet d’autonomie dont les Corses ne veulent pas entendre parler. Et les résultats sur l’ensemble de l’île le montrent bien ».

Des voix de dépit et de protestation

D., 72 ans, retraité calvais, explique son choix par "dépit" : "Entre la peste et le choléra... Je ne fais pas confiance à Mélenchon. J’ai voté au niveau national plus que local. C’est le ras-le-bol des gens contre les dirigeants actuels et leur laxisme depuis des décennies." Un sentiment de désillusion partagé par beaucoup, qui votent plus "par rejet des autres options que par adhésion aux idées du RN."

Andrea, 50 ans, propriétaire d’une résidence secondaire à Calvi, mais vivant sur le continent partage une analyse similaire : "Le manque de social, l’insécurité et le laxisme des gouvernements successifs poussent les gens vers les derniers arrivés, même si on ne les connaît pas. C’est grave pour nous, mais c’est un vote national, pas régional."
 
La montée du RN est également perçue comme une réaction contre les politiques nationalistes. Selon J., 40 ans, habitante de Monticello, "la défaite des nationalistes était écrite. Les Corses sont déçus depuis leur investiture. On s’attendait à des robins des bois, on a eu les 40 voleurs." Un sentiment de "trahison et de désillusion" face "à ceux qui devaient défendre les intérêts de l’île".

La crainte des conséquences
L., Bastiaise de 50 ans, exprime une profonde inquiétude : "Il ne faut pas oublier que le RN a toujours nié l’existence et l’importance du peuple Corse. La sécurité ne régnera nullement chez nous." Cette peur de voir les spécificités corses ignorées par un parti perçu comme "hostile aux intérêts des Corses" est largement partagée.  ​"Le RN arrive quasiment en tête partout, et ce sont surtout des gens que l’on ne connaît pas. C’est le brassage de population qui fait que tout change." souffle J., 61 ans, résidant à Folelli,  "Tout le monde a été surpris du résultat. Il n'y a plus qu'à espérer un sursaut au second tour, mais 'il me semble difficile de mobiliser une population qui n'est sans doute pas corse et qui a coté l'extreme droite."

 J-F, 32 ans, et E., 40 ans, en couple et résidents à Bonifacio, soulignent tous deux l'impact des nouveaux arrivants sur l'île et l’échec du "nationalisme" à répondre aux attentes des électeurs. "C’est la colonisation, ce que l’on répète depuis des années et aujourd’hui on le voit enfin dans les urnes," indique J-F, tandis qu’E. ajoute : "Certains ont promis que le RN donnerait plus de pouvoir d’achat et de sécurité, mais au détriment du peuple Corse."