Vous êtes l'initiateur de ce livre en collaboration avec le pape François. Comment avez-vous rencontré le pape et qu'est-ce qui a motivé ce projet ?
En tant que journaliste, j'étais curieux de savoir où se trouvait le pape François à la fin de la Seconde Guerre mondiale, lors du débarquement sur la Lune, ou encore comment il avait vécu les attentats du 11 septembre 2001 ou la démission de Benoît XVI. C'est ainsi que je lui ai proposé de raconter pour la première fois sa vie, en la reliant aux grands événements de l’histoire mondiale. Il a mis son cœur, et moi, ma plume ! Nous avons travaillé pendant presque un an, alternant rencontres en personne, appels téléphoniques et échanges par email. Le résultat est un récit exceptionnel, dans lequel le pape s’adresse surtout aux jeunes, pour éviter que les erreurs du passé ne se reproduisent.
Comment cela s'est-il passé de travailler avec le Saint-Père ?
Pour Vivre, nous avons d'abord travaillé lors de rencontres à Santa Marta, surtout pour collecter les informations : au cours de ces sessions, le pape ouvrait son coffre aux souvenirs et racontait les moments marquants de sa vie. Il n’a rien voulu omettre, même des épisodes privés concernant sa propre vie ou sa famille. Dans la deuxième phase, nous avons échangé par téléphone : je lui envoyais les chapitres dès qu'ils étaient prêts, et il me rappelait quelques jours plus tard pour apporter des corrections. Pendant ces appels, je pouvais entendre en fond sonore, depuis son bureau, un beau tango ou de la musique classique !
Dans le livre, le pape François raconte sa vie à travers le prisme des grands changements historiques. Quels aspects de son passé argentin et de sa formation jésuite a-t-il voulu mettre en avant, et comment ces éléments s'entrelacent-ils avec ses positions politiques et sociales ?
Pour comprendre beaucoup des choix et des paroles du pape François, il faut connaître Jorge Bergoglio avant qu’il ne devienne pape. Ce livre permet de mieux comprendre sa personnalité. Il y est question de toute sa vie : de son enfance en Argentine, puis de ses années d’études chez les jésuites, de son parcours de prêtre, jusqu'à devenir évêque, cardinal et enfin pape. Ce récit dresse le portrait d’un jeune homme bon et passionné, amoureux de musique. Puis celui d’un prêtre d’une bonté immense, qui s’est très tôt mis au service des autres.
Le pape aborde des thèmes très actuels comme l’avortement, le mariage homosexuel et la montée des populismes en Europe. Pourquoi avoir choisi ces sujets ? Quel message, selon vous, le pape veut-il transmettre à ses lecteurs à propos de ces questions ?
Le pape parle de ces sujets pour transmettre des messages forts sur des questions cruciales et inviter le monde à la réflexion avant qu’il ne soit trop tard. François plaide pour la paix, le respect de la vie humaine, du début à la fin, pour la préservation de notre « maison commune », pour tendre la main à ceux qui frappent à notre porte, pour construire des ponts et non des murs. Je pense que son objectif est aussi de pousser les lecteurs à se poser des questions, car comme il le dit dans son Exhortation Apostolique Evangelii Gaudium, le grand risque du monde actuel est une triste individualisme, où il n’y a plus de place pour les autres, où les pauvres sont ignorés et où la voix de Dieu est étouffée.
Le pape François, tout en restant fidèle à ses principes, se montre de plus en plus critique envers certains développements sociaux. Dans ses déclarations sur les "populismes autoréférentiels" en Europe, il affiche une position forte. Comment interprétez-vous cette vision du pape sur la politique contemporaine ? Est-il plus un leader spirituel ou un homme engagé politiquement ?
La politique du pape est simplement celle de l'Évangile, sans polarisation ni idéologie. On l’a accusé d’être communiste, marxiste, mais il met en œuvre uniquement ce que les Écritures préconisent. Concernant les « populismes autoréférentiels », je vois un pape très préoccupé par la « vieille Europe ». Il n’est pas critique pour le plaisir, mais parce qu’il est profondément attaché aux principes fondateurs de l’Europe. Pour lui, l’Europe ne doit pas être prisonnière de ses divisions. Elle doit exister dans un équilibre qui ne l’éloigne pas des besoins des peuples et des réalités humaines.
La vision de Sa Sainteté de l’héritage de Jean-Paul II et Benoît XVI est une partie importante du livre. Comment le pape François se positionne-t-il dans cette continuité de l’Église, tout en adoptant une approche différente de celle de ses prédécesseurs ?
L’approche est différente, mais il existe une grande continuité. Lorsqu'on parle de rupture avec le passé, c’est simplement parce que le pape a « révolutionné » la fonction papale : il vit à Santa Marta au lieu du luxueux Palais apostolique, il utilise une voiture sobre, téléphone personnellement aux fidèles et brise souvent les protocoles. Je pense que chaque pape agit en fonction de son époque. Et François se trouve confronté à des changements sociaux profonds, qui l'ont amené à réformer la Curie romaine et à insister sur une vision d’une Église missionnaire, un « hôpital de campagne » au service des pauvres.
Le ton du livre est plus personnel, presque intime. Pensez-vous que cette nouvelle façon d’exprimer du pape pourrait influencer la perception qu’ont de lui les croyants et les non-croyants, au-delà des positions officielles de l’Église ?
Je pense que ce livre pourra aider les lecteurs, y compris ceux qui ne sont pas croyants, à mieux comprendre l’homme Jorge Bergoglio et à saisir plus profondément ses gestes et ses paroles. Il est vrai qu’aucun pape n’avait jamais raconté sa vie de manière aussi intime, mais si François l’a fait, c’est pour partager des pensées et des expériences vécues personnellement, à la disposition de tous.