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« Le statut de résident est possible à Courchevel, mais pas à Cuttoli ! »


Nicole Mari le Dimanche 26 Juin 2016 à 00:04

Le 1er février 2014, le Conseil municipal de Cuttoli-Corticchiato adopte, à l’unanimité, une délibération exigeant une résidence de 5 ans en Corse pour accéder à la propriété dans le cadre d’un projet de lotissement communal. Le préfet de région demande l’annulation de ce statut de résident et, devant le refus des élus, intente un recours au Tribunal administratif. Plusieurs délibérations sur ce statut, prises par d’autres communes, ont été, depuis lors, annulées par la justice. Lors de l’audience, qui s’est tenue jeudi matin à Bastia, le rapporteur public a estimé ce statut inapplicable, car non fondé en droit, et portant atteinte à la libre circulation des capitaux. Il a requis son annulation. Des points contestés par la défense de Cuttoli qui s’appuie sur un statut de résident de 15 ans, mis en place en 2012 par la commune de Courchevel, sans soulever de vagues. Explications, pour Corse Net Infos, de Jean Biancucci, maire de Cuttoli-Corticchiato.



Jean Biancucci, maire de Cuttoli-Corticchiato, conseiller territorial Femu a Corsica et président d'Air Corsica.
Jean Biancucci, maire de Cuttoli-Corticchiato, conseiller territorial Femu a Corsica et président d'Air Corsica.
- Pourquoi votre commune est-elle sous les feux de la rampe ?
- Le 1er février 2014, la commune de Cuttoli a délibéré sur la nécessité de créer 70 logements avec un ticket d’entrée le mois cher possible. Ces logements seraient construits sur des terrains communaux en essayant de réduire autant que faire se peut les marges de construction tout en prenant en compte les VRD (Voiries, réseaux & divers). Le projet est intéressant et attractif pour des gens qui ont besoin de se loger La demande, à l’échelle de la zone d’Ajaccio, est d’environ 900 logements par an.
 
- De combien est-elle sur Cuttoli ?
- Elle est proportionnelle, mais surtout elle est importante parce que pas mal de gens de Cuttoli habitent ailleurs et voudraient revenir sur la commune. L’autre particularité est que la commune possède deux tiers du territoire communal. C’est énorme pour une commune périphérique du plus grand centre urbain de Corse ! Ces terrains, où l’on pourrait construire, ont une géologie particulière : ils sont formés d’une bande d’argile qui alimentait la briqueterie de Mezzavia. L’argile crée un gros désavantage en matière de constructibilité. Comme la commune n’a pas de réseau collectif, l’assainissement est individuel, ce qui nécessite des zones d’épandage très étendues pour les effluents.
 
- En quoi l’argile pose-t-elle problème ?
- L’argile ne boit pas. Au lieu des 1500 mètres nécessaires pour construire une maison, il en faut au moins le double pour disposer d’une fosse sceptique. Plus la zone d’épandage est importante, meilleure est l’absorption par le sol. Cela a obligé le Conseil municipal d’élaborer un PLU (Plan local d’urbanisme) avec un seuil de constructibilité de 3000 à 4000 mètres, généralement, sur des zones privées. Au prix actuel du marché qui est de 50 € le mètre, un terrain vaut, donc, 200 000 €. Un jeune, qui veut construire sur la commune, doit déjà disposer de 200 000 € rien que pour l’achat du terrain ! Ne peuvent, ainsi, s’installer que les gens qui ont les moyens. Les autres sont exclus ! C’est, donc, à nous, élus communaux, de rétablir une situation plus équitable afin de permettre aux revenus modestes d’avoir accès au logement. Soit sous la forme de location, soit par accès à la propriété.
 
- Qu’avez-vous, donc, fait ?
- Nous avons élaboré un beau projet qui répond à un objectif, à la fois, économique, social, en termes de loisirs... Comme nous ne voulons pas vendre des terrains à la découpe, nous avons fait réaliser une étude par un architecte des PNG pour organiser les logements, non pas d’une manière linéaire, mais sous la forme de villages du 21ème siècle, disposés autour une place centrale. Nous avons considéré que l’habitat disséminé crée des conditions de dé-sociabilité et qu’il faut recréer des conditions de sociabilité.
 
- Où le bât blesse-t-il ?
- Le bât blesse parce que lorsqu’un jeune couple, qui a 3000 € de revenus, demande un prêt à la banque pour construire une maison, le banquier lui prête jusqu’à 180 000 €. Ce qui veut dire que le couple n’a même pas de quoi acheter le terrain, encore moins de construire une maison. De fait, une partie des habitants de Cuttoli, de la CAPA (Communauté d’agglomération du pays ajaccien) et de la Corse est exclue parce que la spéculation immobilière a fait grimper les prix des terrains tellement hauts que les revenus modestes ne peuvent plus y accéder. Le rôle du politique est de créer des mécanismes de régulation pour gommer les disparités générées par les envolées et les perversités du marché. A Cuttoli, nous avons créé 70 possibilités de logements.
 
- Pourquoi la commune se retrouve-t-elle assignée devant le Tribunal administratif ?
- A partir du moment où on crée un seuil d’accès à la propriété voisin de zéro, on aura non pas 70, mais 1200 demandes, soit autant qu’il peut y en avoir sur la zone. On ne peut pas exclure les gens comme ça ! Sans compter les gens qui arrivent, passent l’été à Marina Viva, trouvent que la Corse est belle, et, devant une telle offre voudront acheter en estimant avoir les mêmes droits que les autres. Face à ce risque, nous considérons qu’en tant qu’élus communaux, nous devons défendre les intérêts des habitants de Cuttoli parce que le terrain est patrimonial. Il leur en revient une partie. C’est un bien communal, donc collectif ! On ne traite pas un bien collectif comme si c’était un bien privé ! A partir de là, on demande à ceux qui candidatent de prouver une résidence d’au moins 5 ans dans le coin. C’est assimilé à un statut de résident.
 
- D’où votre délibération ?
- A aucun moment, la délibération de la commune fait état du statut de résident. La commune de Cuttoli délibère le 1er février 2014, c’est-à-dire trois mois avant l’Assemblée de Corse, elle est, donc, la 1ère commune de Corse à le faire. Toutes les autres communes, qui ont délibéré par la suite, l’ont fait sur la base de la délibération de l’Assemblée de Corse concernant le statut de résident.
 
- Le préfet de région de l’époque avait demandé l’annulation de votre délibération. Pourquoi n’avez-vous pas obtempéré ?
- En effet ! Il a demandé au Conseil municipal de la retirer, dans un délai de deux mois, pour non-conformité au droit. Nous avons décidé, à l’unanimité, de la maintenir. Le 11 juillet 2014, le Préfet produit un mémoire et attaque devant le Tribunal administratif. L’audience a lieu près de deux ans plus tard ! Nous avons produit un premier mémoire en réponse au préfet. Au vu des récents jugements qui ont touché d’autres communes, nous avons produit un second mémoire beaucoup plus pointu qui argumente sur des points de droit.
 
- A l’audience, le commissaire du gouvernement a fait droit à la requête préfectorale. Pourquoi, selon vous ?
- Les conclusions du commissaire du gouvernement n’argumentent pas sur le droit, mais sur le fait que la chose a déjà été jugée pour diverses communes qui ont délibéré suite au vote de l’Assemblée de Corse. Il conclut au bon droit du préfet. Notre avocate, Me Lelièvre, a plaidé le droit. Nous suivons ça de près. Le jugement est mis en délibéré au 13 juillet.
 
- Etes-vous confiant ?
- Je suis confiant dans notre argumentation qui est solide alors que celle du commissaire est assez faible, mais je sais très bien que la décision sera aussi liée au contexte politique. Rattacher directement la délibération de Cuttoli au statut de résident, c’est déjà un acte politique que commet le commissaire du gouvernement ! Alors que je le répète, à aucun moment, dans la délibération, il n’en ait fait état.
 
- Que pensez-vous du fait que le statut de résident ait été adopté à Courchevel en 2012 sans provoquer aucune réaction ?
- Courchevel fait face à la même problématique. Les propriétés sont acquises par les Russes. Les prix ont tellement flambé que les gens du cru n’ont plus les moyens d’acheter. Le Conseil municipal de Courchevel a fait voter une délibération exigeant 15 ans de résidence pour accéder à la propriété. La délibération n’a pas été annulée par le préfet du coin. Alors, ce qui est possible à Courchevel n’est pas possible à Cuttoli, ni en Corse ! Mais ça, c’est le traitement auquel la Corse a droit depuis des décennies !
 
Propos recueillis par Nicole MARI.