Ce sont des mots graves et forts que la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, a prononcé avec beaucoup d’émotion dans son allocution d’ouverture de la première session de l’année de l’Assemblée de Corse. Des mots consacrés aux victimes des violences criminelles qui ont frappé, endeuillé et choqué la Corse, ces dernières semaines. Des mots qui s’adressent à tous, notamment aux jeunes, aux mères, aux citoyens, et qui affirment qu’il est temps d’en finir avec la violence qui ronge l’île. Après les vœux traditionnels en langue corse, elle martèle qu’il est impératif de changer collectivement les choses en 2025 : « In stu principiu d’annu, vogliu augurà à tutti voi è à quelli chì tenite cari a pace, a salute è a forza pè st’annu novu chì, speru, ci purterà tante sfide, tanti prugetti è belli successi cullettivi è persunali ! Andemu sereni è convinti chì pudemu migliurà a vita di i Corsi se no c’impegnemu assai. Cambià ghjè un’esigenza maiò soprattuttu quand’ellu si vede cum’emu compiu u 2024 è iniziatu 2025. Iè, a fatalità ùn deve micca piglià a suprana ! Duvemu cullettivamente fà qualcosa pè inverti u sensu tragicu di e cose ».
Qu’avons-nous fait ?
Pour la présidente, il n’y a pas de fatalité à cette violence : « Quanti omi tombi dapoi à dicembre ? Un mi possu rassignà à accetà ‘ssu fattu. Unu sarebbe digià troppu. E mamme è i babbi corsi ùn averannu pè destinu chì quellu d’allevà figlioli per vedeli more à 20, 30 o 40 anni ? ». Elle s’interroge sur ses causes et les responsabilités : « Ch’averannu fattu ? ch’averemu fattu pè merità què ? Da vite à famiglie sbrembate, si passa spessu à l’analisi di u cuntestu è di e statistiche. Ma ancu puru se no eramu menu viulenti ch’in altrò, ancu puru ch’ellu ci fussi menu ghjente tombe, a Corsica soffre troppu di sta viulenza difusa, chì diventa guasgi banale. Viulenza d’ogni tipu : dumestica, legata à i sbaraglii mafiosi, pulitica, suciale. Allora, certi dicenu ch’avemu a viulenza in corpu da a nascita… A viulenza saria ind’è u nostru ADN ! Inno` ! Quessa di sicuru ùn hè vera ! Nimu nasce viulente ! Si diventa viulente quandu u cuntestu suciale, ecunomicu, famigliale, chjama a viulenza ».
Le rôle-clé de l’éducation
La présidente Maupertuis explique donc que la violence est souvent le corollaire de la pauvreté et du manque d’éducation : « Le degré de diffusion de la violence est souvent corrélé à la précarité et à la pauvreté - plus élevées ici qu’ailleurs -, à la spéculation, aux comportements de prédation – mais surtout au manque d’éducation, c’est- à-dire une forme de déficit en capital humain qui légitime la loi du plus fort, celui qui dispose d’un droit suprême, celui d’ôter la vie, celui de donner la mort. Et c’est là que le bât blesse ! C’est ici qu’un chiffre doit nous alarmer, nous empêcher de dormir même ». Elle rappelle que le niveau d’éducation de l’île est le plus faible de France. « Ici, 30 % de la population sort du système scolaire sans diplôme ou au niveau du brevet des collèges. Or, éduquer permet pourtant d’éloigner nos enfants des risques et périls de la vie. C’est leur donner la capacité de réfléchir, de décider en conscience, de ne pas choisir la facilité et de ne pas succomber aux faux mythes. C’est de faire d’eux des enfants curieux et des adultes éclairés ». Et d’assener : « Il faut en finir avec le culte des armes, le culte de l’argent facile, le culte du voyou ».
L’appel aux mères
Pour cela, la présidente Maupertuis adresse un message particulier aux femmes, aux mères. « Rarement cibles directes des crimes de sang, elles sont toujours les mères de ceux qui tombent. Elles sont celles qui les ont élevés. Notre rôle de mère est le plus puissant qui soit : Il nous donne le pouvoir de faire grandir des petits-garçons confiants, respectueux, aux rêves bien plus grands qu’une arme ou une voiture de luxe. Des petits-garçons capables de partager le monde avec les petites-filles et à entrevoir leur construction d’homme en dehors de schémas préétablis où virilité se confond souvent avec brutalité. Ce pouvoir c’est le nôtre, j’y crois fermement et il est temps de le réinvestir car la situation l’exige ». Sur le plan institutionnel, elle réaffirme qu’il faut replacer l’éducation au centre de tous les enjeux. « La jeunesse nous en remerciera car, pour reprendre Voltaire, le savoir et le travail éloignent nos enfants de trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin. Eduquer, montrer un autre chemin pour notre île, mettre toutes nos forces politiques et personnelles dans une lutte pour la vie et pour l’espoir. S’il ne restait qu’un seul projet pour faire l’unanimité, ce devrait être celui-ci ».
Les mots d’une mère
Avec beaucoup d’émotion, Nanette Maupertuis va ensuite citer les mots bouleversants prononcés par Felicia Impastato, mère de Peppino assassiné à l’explosif en Sicile par la Mafia, le 9 mai 1978, « parce qu’il était un jeune libre ». Sur sa dépouille, elle dira : « Ce n'est pas mon fils. Ce ne sont pas ses mains. Ce n'est pas son visage. Ces lambeaux de viande, je ne les ai pas fabriqués. Mon fils était la voix qui a crié sur la place. C'était le rasoir tranchant de ses mots, c'était de la colère, c'était de l'amour qui voulait naître qui voulait grandir. C'était mon fils quand il était en vie, quand il se battait contre tout le monde : les hommes du ventre qui ne valent même pas un centime, pères sans enfants, loups sans pitié. Je lui parle avec lui vivant. Je ne sais pas comment parler avec les morts. Je l'attends jour et nuit, maintenant la porte s'ouvre, il entre, me serre dans ses bras. Je vais l'appeler, il est dans sa chambre pour étudier, maintenant il sort, maintenant il revient, le visage sombre comme la nuit, mais s'il rit, c'est le soleil apparaissant pour la première fois, un bébé soleil. Ce n'est pas mon fils. Ce cercueil plein de lambeaux de viande, ce n'est pas celui de Peppino. Ils sont ici tous les enfants pas nés d'une autre Sicile ». La gorge nouée, la présidente de l’Assemblée de Corse conclut : « Pour tous les enfants de Corse qui ne sont pas encore nés et pour leurs mères, nous avons le devoir d’agir et de faire changer les choses ». Ces mots douloureux ont touché tout l’hémicycle qui, fait unique, a longuement applaudi.
N.M.
Qu’avons-nous fait ?
Pour la présidente, il n’y a pas de fatalité à cette violence : « Quanti omi tombi dapoi à dicembre ? Un mi possu rassignà à accetà ‘ssu fattu. Unu sarebbe digià troppu. E mamme è i babbi corsi ùn averannu pè destinu chì quellu d’allevà figlioli per vedeli more à 20, 30 o 40 anni ? ». Elle s’interroge sur ses causes et les responsabilités : « Ch’averannu fattu ? ch’averemu fattu pè merità què ? Da vite à famiglie sbrembate, si passa spessu à l’analisi di u cuntestu è di e statistiche. Ma ancu puru se no eramu menu viulenti ch’in altrò, ancu puru ch’ellu ci fussi menu ghjente tombe, a Corsica soffre troppu di sta viulenza difusa, chì diventa guasgi banale. Viulenza d’ogni tipu : dumestica, legata à i sbaraglii mafiosi, pulitica, suciale. Allora, certi dicenu ch’avemu a viulenza in corpu da a nascita… A viulenza saria ind’è u nostru ADN ! Inno` ! Quessa di sicuru ùn hè vera ! Nimu nasce viulente ! Si diventa viulente quandu u cuntestu suciale, ecunomicu, famigliale, chjama a viulenza ».
Le rôle-clé de l’éducation
La présidente Maupertuis explique donc que la violence est souvent le corollaire de la pauvreté et du manque d’éducation : « Le degré de diffusion de la violence est souvent corrélé à la précarité et à la pauvreté - plus élevées ici qu’ailleurs -, à la spéculation, aux comportements de prédation – mais surtout au manque d’éducation, c’est- à-dire une forme de déficit en capital humain qui légitime la loi du plus fort, celui qui dispose d’un droit suprême, celui d’ôter la vie, celui de donner la mort. Et c’est là que le bât blesse ! C’est ici qu’un chiffre doit nous alarmer, nous empêcher de dormir même ». Elle rappelle que le niveau d’éducation de l’île est le plus faible de France. « Ici, 30 % de la population sort du système scolaire sans diplôme ou au niveau du brevet des collèges. Or, éduquer permet pourtant d’éloigner nos enfants des risques et périls de la vie. C’est leur donner la capacité de réfléchir, de décider en conscience, de ne pas choisir la facilité et de ne pas succomber aux faux mythes. C’est de faire d’eux des enfants curieux et des adultes éclairés ». Et d’assener : « Il faut en finir avec le culte des armes, le culte de l’argent facile, le culte du voyou ».
L’appel aux mères
Pour cela, la présidente Maupertuis adresse un message particulier aux femmes, aux mères. « Rarement cibles directes des crimes de sang, elles sont toujours les mères de ceux qui tombent. Elles sont celles qui les ont élevés. Notre rôle de mère est le plus puissant qui soit : Il nous donne le pouvoir de faire grandir des petits-garçons confiants, respectueux, aux rêves bien plus grands qu’une arme ou une voiture de luxe. Des petits-garçons capables de partager le monde avec les petites-filles et à entrevoir leur construction d’homme en dehors de schémas préétablis où virilité se confond souvent avec brutalité. Ce pouvoir c’est le nôtre, j’y crois fermement et il est temps de le réinvestir car la situation l’exige ». Sur le plan institutionnel, elle réaffirme qu’il faut replacer l’éducation au centre de tous les enjeux. « La jeunesse nous en remerciera car, pour reprendre Voltaire, le savoir et le travail éloignent nos enfants de trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin. Eduquer, montrer un autre chemin pour notre île, mettre toutes nos forces politiques et personnelles dans une lutte pour la vie et pour l’espoir. S’il ne restait qu’un seul projet pour faire l’unanimité, ce devrait être celui-ci ».
Les mots d’une mère
Avec beaucoup d’émotion, Nanette Maupertuis va ensuite citer les mots bouleversants prononcés par Felicia Impastato, mère de Peppino assassiné à l’explosif en Sicile par la Mafia, le 9 mai 1978, « parce qu’il était un jeune libre ». Sur sa dépouille, elle dira : « Ce n'est pas mon fils. Ce ne sont pas ses mains. Ce n'est pas son visage. Ces lambeaux de viande, je ne les ai pas fabriqués. Mon fils était la voix qui a crié sur la place. C'était le rasoir tranchant de ses mots, c'était de la colère, c'était de l'amour qui voulait naître qui voulait grandir. C'était mon fils quand il était en vie, quand il se battait contre tout le monde : les hommes du ventre qui ne valent même pas un centime, pères sans enfants, loups sans pitié. Je lui parle avec lui vivant. Je ne sais pas comment parler avec les morts. Je l'attends jour et nuit, maintenant la porte s'ouvre, il entre, me serre dans ses bras. Je vais l'appeler, il est dans sa chambre pour étudier, maintenant il sort, maintenant il revient, le visage sombre comme la nuit, mais s'il rit, c'est le soleil apparaissant pour la première fois, un bébé soleil. Ce n'est pas mon fils. Ce cercueil plein de lambeaux de viande, ce n'est pas celui de Peppino. Ils sont ici tous les enfants pas nés d'une autre Sicile ». La gorge nouée, la présidente de l’Assemblée de Corse conclut : « Pour tous les enfants de Corse qui ne sont pas encore nés et pour leurs mères, nous avons le devoir d’agir et de faire changer les choses ». Ces mots douloureux ont touché tout l’hémicycle qui, fait unique, a longuement applaudi.
N.M.