La prostitution, bien que souvent masquée en Corse, est loin d’être absente du territoire insulaire. Ce vendredi, la Casa di e Scenze de Bastia a accueilli un séminaire départemental consacré à cette problématique. Magali Chapey, directrice de Cabinet du Préfet de la Haute-Corse, et Jean-Philippe Navarre, Procureur de la République de Bastia, ont détaillé les enjeux et actions en cours pour enrayer ce phénomène, en présence des représentants des forces de l’ordre et d’associations locales.
Un phénomène de plus en plus virtuel
La prostitution en Corse a profondément évolué au cours des dernières années, s’éloignant des formes classiques observées ailleurs en France. Magali Chapey dresse un constat sans appel : « La prostitution a évolué de manière significative par rapport à ce qu'elle était il y a dix ans. Aujourd'hui, la connectivité rapide, notamment par téléphone, représente un véritable défi. »
Si la prostitution de rue est quasi inexistante sur l’île, elle se déplace désormais sur Internet et les réseaux sociaux, un espace où les proxénètes opèrent de manière plus insidieuse. Jean-Philippe Navarre explique : « Les relations entre proxénètes et prostituées, ainsi que la mise en relation avec les clients, sont bien plus difficiles à observer et à identifier dans ce cadre. » Face à cette dématérialisation, les services de police et de gendarmerie doivent redoubler d’efforts pour surveiller ces nouveaux espaces. Le procureur précise : « Des enquêtes actives sont menées pour exploiter les profils en ligne et identifier les responsables de ces réseaux. »
Un lien étroit avec la précarité
Derrière ce phénomène, la précarité apparaît comme un facteur central. La prostitution touche des profils de plus en plus jeunes et souvent vulnérables. « Ce phénomène est lié à des problématiques d’addiction et concerne des individus de plus en plus jeunes », déplore Magali Chapey, avant d’ajouter : « Il est crucial de renforcer la prise de conscience, notamment en Corse, où ce phénomène est moins visible qu’ailleurs. »
Cette invisibilité représente un double défi : pour les forces de l’ordre, qui peinent à localiser ces pratiques, mais aussi pour les associations, qui doivent aller à la rencontre des victimes potentielles. « La prostitution corse se déroule principalement dans des espaces moins visibles et plus difficiles à identifier, ce qui nécessite une action encore plus ciblée, notamment en collaboration avec les associations », souligne Magali Chapey.
Prévention et sensibilisation au cœur des priorités
Au-delà des enquêtes policières, le séminaire a mis en avant l’importance de la prévention et de la sensibilisation pour lutter contre ce fléau. Les participants ont discuté des outils numériques permettant de détecter les signaux faibles et d’orienter les victimes vers les structures d’aide.
Jean-Philippe Navarre insiste sur l’importance de la coopération entre les différents acteurs : « La lutte contre la prostitution ne peut se faire sans une approche globale. Les autorités, les associations et la société civile doivent travailler ensemble pour démanteler les réseaux et protéger les plus vulnérables. »
Un phénomène mondial, des réponses locales
Le séminaire de Bastia a permis de rappeler que la Corse n’est pas épargnée par un phénomène qui touche toutes les régions du monde. Si sa discrétion rend son impact difficile à évaluer, les autorités insulaires sont déterminées à agir. Les défis sont nombreux, mais les discussions engagées à Bastia témoignent d’une volonté commune : celle de faire reculer un fléau aux conséquences humaines dramatiques.
Face à cette évolution, plusieurs dispositifs ont été mis en place pour prévenir et lutter contre la prostitution, tant au niveau national que local. "Il est crucial de mobiliser l'ensemble des acteurs concernés : les services de l'État, les services sociaux, les collectivités locales et les associations partenaires", insiste Jean-Philippe Navarre. Selon lui, en 2023 et 2024, des opérations coordonnées ont permis de démanteler plusieurs réseaux de prostitution en Haute-Corse : "Des enquêtes sont menées, et certaines aboutissent. Des réseaux ont été démantelés, et des personnes mises en examen attendent leur jugement par le tribunal correctionnel. Ces actions sont le fruit d'une collaboration étroite entre les services de la police, de la gendarmerie, de la justice et des acteurs associatifs.", précise-t-il.
La lutte contre la prostitution passe également par la prévention et l'accompagnement des victimes. Magali Chapey rappelle qu'afin de pouvoir offrir un soutien adapté aux personnes concernées, les services de l'État coordonnent un groupe de travail territorialisé regroupant différents professionnels, tant pour les adultes que pour les mineurs. Cette approche partenariale, qui inclut les acteurs de la justice et des associations spécialisées, est "essentielle pour développer des réponses efficaces." selon elle.
Un point crucial dans cette lutte réside dans la prise de conscience collective de la réalité de la prostitution. Magali Chapey rappelle qu'une "prostituée est toujours une victime. La prostitution est souvent liée à la précarité et représente une forme de violence particulièrement violente. Une prostituée, qu'elle soit homme ou femme, n'est jamais consentante dans ce contexte.", souligne-t-elle. Pour elle, il est donc impératif de lutter contre la stigmatisation et de reconnaître que derrière chaque personne prostituée se cache une victime de violence, d'exploitation et de maltraitance.
En Corse, un travail important reste à faire pour sensibiliser la population sur la réalité de la prostitution. "Il reste encore un travail de sensibilisation à mener pour faire comprendre que la prostitution est avant tout une exploitation du corps humain.", insiste Magali Chapey. "Le travail se fait aussi sur la prise de conscience des clients." conclut-elle.