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Sites naturels patrimoniaux : La Corse met des quotas pour réguler la fréquentation touristique


Nicole Mari le Samedi 27 Mai 2023 à 22:28

L’Office de l’Environnement de la Corse met en place une politique de quotas pour réguler la fréquentation, dès cette saison estivale, dans quatre sites naturels emblématiques : Bavella, A Restonica, Scandula et les îles Lavezzi. L’annonce a été faite vendredi à l’Assemblée de Corse lors de la présentation du rapport d’information sur la gestion de la fréquentation estivale des sites naturels patrimoniaux. L’occasion pour l’Exécutif de dresser un bilan de l’expérimentation de l’été 2022 et de tracer des perspectives pour étendre cette régulation à tous les sites menacés et réorienter les touristes vers des sites moins connus.



La réserve de Scandula. Photo CNI.
La réserve de Scandula. Photo CNI.
L’accès aux quatre sites naturels les plus emblématiques de Corse et les plus fréquentés - Bavella, A Restonica, Scandula et les îles Lavezzi – seront, cet été, soumis à des quotas. Il y avait urgence ! L’explosion de la fréquentation en période estivale était en train de rompre l’équilibre biologique et la biodiversité de ces milieux exceptionnels et d’en dégrader durablement la beauté. L’enjeu écologique a imposé la solution drastique des quotas qui se généralise un peu partout en France et dans le monde, et qui a été expérimenté en Corse dès l’été 2022. Un quota journalier de 2 000 personnes maximum avait été fixé sur les îles Lavezzi, et une régulation de la capacité d’accueil journalière aux Aiguilles de Bavella et dans les Gorges de la Restonica. Avec quelques ratés. L’Exécutif corse a décidé, cette année, d’aller plus loin et a présenté, vendredi matin, lors de la session raccourcie de l’Assemblée de Corse, un rapport d’information sur les dispositions mises en place pour la gestion de cette fréquentation en dressant un bilan de l’expérience de l’été dernier et en traçant des perspectives claires pour les prochaines années. « Lorsqu’on s’embarque dans une régulation de la fréquentation des sites naturels emblématiques et patrimoniaux, tout n’est pas parfait, on essuie les plâtres à l’allumage. Cette régulation se fait en coopération avec les populations », reconnaît le président de l’Office de l’Environnement de la Corse (OEC), Guy Armanet.
 
Une stratégie assumée
C’est avec prudence que Guy Armanet, expose une équation plutôt complexe : protéger ces sites fragiles de la horde de touristes qui s’y pressent sans que les Corses, qui y ont des habitudes ancestrales, ne soient lésés, et que les professionnels du tourisme, qui vivent de cette manne, n’y trouvent à redire. Aussi prend-il soin d’affirmer en préambule : « Nous ne sommes pas ici pour empêcher les gens des villages d’aller dans les lieux qu’ils ont toujours pratiqués et qu’ils continueront à pratiquer. Nous aurons toujours une oreille attentive à leurs demandes pour les laisser vivre comme ils doivent vivre chez eux. La gestion des flux en juillet et en août ne les concerne pas ». Il n’hésite pas à franchir le pas sur l’idée d’un « tarif résident » en prévenant : « Oui, s’il faut désobéir, on désobéira ! S’il faut croiser le fer, on le croisera ! On fera en sorte que nos résidents aient un statut particulier pour pouvoir fréquenter ces lieux ». Ceci posé, la stratégie est claire : « Pour protéger notre Corse, on veut avoir une gestion de quotas. Oui, nos sites ont besoin de quotas pour préserver la biodiversité ! Sur les sites emblématiques, comme celui de Bavella, nous avons fait des efforts considérables. L’impact sera, dès cette année, effectif ». Cette politique s’articule autour de plusieurs axes. D’abord, réorienter les flux : « La nécessité de réguler les flux en diminuant la visibilité des sites emblématiques surchargés et en valorisant d’autres secteurs de l’île, moins soumis à la pression touristique, sont une priorité ». Ensuite, apporter aux communes une ingénierie pour établir de vrais indicateurs sur le niveau réel de fréquentation et son impact sur le site : « On n’a pas d’éco-compteurs partout, on les aura à terme ». Même si le droit ne confère pas à la la Collectivité de Corse (CdC) la compétence pour agir, le président Armanet l’assure : « On va s’impliquer fortement. L’autonomie, que nous appelons de nos vœux, nous permettra d’intervenir directement sur ces sites patrimoniaux ».

Les aiguilles de Bavella. Photo CNI.
Les aiguilles de Bavella. Photo CNI.
Une montée en action
Un premier bilan de l’expérimentation de l’été 2022 démontre déjà « une baisse de fréquentation relative sur les sites concernés ». A Bavella, la lutte contre le stationnement sauvage a réduit considérablement la circulation anarchique et la fréquentation des sites : une baisse de 4,9% à Tafonu di Campuleddu et de 66 % sur Purcaraccia. Mais, reconnait Guy Armanet, « Les résultats n’ont pas été à la hauteur, c’est pourquoi il y aura des glissières de sécurité qui matérialiseront ces zones ». De plus, le parking du Ponte Rossu a été aménagé et un parking a été créé par la ComCom de l’Alta Roccu. « Il y aura des écogardes sur les 2 parkings. Quand le niveau sécuritaire, estimé à 160 véhicules, sera atteint, les écogardes pourront fermer le parking. Au Col de l’Arona, l’intervention des secours était devenue problématique. Le cadre sécuritaire nous a permis d’aller au maximum de ce qu’on pouvait faire ». Dans la vallée de la Restonica, la gestion des flux a été plus compliquée parce que la zone a une accréditation « Grand Site », et la baisse de fréquentation s’est limitée à 1,5%. « « Ce site enclavé génère 300 000 véhicules en saison estivale, c’est énorme ! ». En partenariat avec la mairie de Corti, l’OEC a lancé une étude de valorisation des sentiers adjacents pour permettre une autre circulation. Sur les îles Lavezzi : « Nous sommes allés au bout de ce que nous pouvions faire. Aujourd’hui, 40% de l’île est fermée au public. Les gens ne peuvent plus se promener que sur la moitié restante avec une régulation par rapport aux flux ». Les quotas fixés sont de 200 000 visiteurs maximum par an et 150 000 maximum débarquant sur la partie terrestre dès 2026, un quota maximum de 2000 personnes présentes simultanément sur la partie terrestre. « L’année dernière, nous n’avons jamais dépassé ce quota-là. La campagne de communication doit s’accentuer. Nous avons signé une convention pour réguler aussi les flux maritimes avec réduction des bouées et interdiction d’ancrage sur la partie Nord de l’île qui est ainsi sanctuarisée ». La fréquentation a baissé de 6,5% sur juillet-août et de 11% sur l’année. Sur Scandula, l’OEC a effectué avec le PNRC, les bateliers et les associations de défense de l’environnement un comptage des balbuzards : « Pour l’année prochaine, des pistes se dégagent pour anticiper la fermeture à la fréquentation sur les nids qui sera plus tôt que le 15 mai. On s’adaptera au mieux pour que tout le monde puisse fonctionner. Les mesures, qui ont été prises l’année dernière à la volée, ont été entérinées et accentuées ». Les travaux avancent également pour la création de la réserve naturelle de Corse qui chapeautera la réserve de Scandula et la partie UNESCO.

La Restonica. Photo CNI.
La Restonica. Photo CNI.
Un double enjeu
Dans l’hémicycle, la question de la préservation des sites et de la régulation des flux ne fait pas débat. « On est plutôt sur le bon chemin », estime la droite par la voix de Jean-Michel Savelli. « Les baisses restent marginales, cela veut dire qu’il faut être très rigoureux sur les méthodes de comptage qui doivent s’adapter à chaque site. C’est un premier pas intéressant mais il ne faut pas tirer de conclusions trop hâtives. Sur les quotas, il faut être prudent parce que ce sont des sites emblématiques qui contribuent beaucoup à l’attractivité du territoire ». Il propose d’étudier la possibilité de mettre des péages à l’entrée des sites, comme cela se fait ailleurs. Il rappelle que l’enjeu est aussi touristique : « Qui dit environnement dit tourisme. Ce qui m’inquiète, c’est la réflexion stratégique qui a mené au plan de communication de l’Agence du tourisme, et qui est directement en lien avec les quotas et la déconcentration qui était le thème de la campagne. Cela a été mal vécu sur la forme par les socioprofessionnels, vous auriez pu faire mieux ! On met beaucoup de contraintes, mêmes si elles sont justifiées, elles vont nous perdre de l’attractivité. Il faut être vigilant ».
 
Un plan mer-montagne
Satisfecit également du président de Core in Fronte, Paul-Félix Benedetti avec un bémol : « C’est bien, mais il y a des sites qui ont été oubliés, comme toute la façade maritime du Parc marin des Agriates, c’est un problème global ». Lui aussi s’interroge sur « la fréquentation libre, sans contrainte » et sur l’opportunité de faire payer l’entrée des sites, « ce qui génèrerait des retombées économiques. Nos voisins sardes ont des sites payants partout ». Il propose également la création « d’une vraie école de la montagne pour le métier de guide accompagnateur. On doit créer ce corps de métier et des règles pour imposer que les passages soient fait sous contrôle et sous sécurité ». Idem en mer où le leader indépendantiste préconise d’instaurer des règles de navigation pour le transport en bateau. « Aujourd’hui, les bateliers font comme si tout était en libre-service, il faut imposer des règles et le contrôle de l’application des règles. Cela demande un plan mer-montagne sur tout site qui voit arriver plus de 100 personnes par jour ».
 
Un point d’équilibre
Le président du groupe PNC-Avanzemu Jean-Christophe Angelini rappelle qu’en Corse, la conception de l’espace est une question anthropologique. « Il y a peu de réunion où on convoque autant la mémoire des lieux et la manière dont on y a fonctionné au fil du temps, c’est un point central ». Pour lui aussi, la question est double : « Elle est relative à la sur-fréquention et à l’attractivité du territoire qui doit rester un objectif politique ». Concernant la fréquentation, il est d’accord sur le principe « de sanctuariser, limiter l’accès, instaurer les quotas, cela participe du développement économique. C’est comme ça que l’on valorise un territoire, pas en l’ouvrant aux quatre vents ». Il en appelle néanmoins lui aussi à la vigilance : « Attention à cette approche idéologique de dire qu’il faut arrêter le tourisme. Economiquement, c’est dangereux. Il faudra un minimum de 20 ans pour la mutation du modèle et il faut commencer maintenant. Ok sur la philosophie générale de rapport, mais la raison commande de bâtir un point d’équilibre, personne ne gagnerait à la mise sous cloche d’un territoire ». L’élue de Corsica Libera, Josepha Giacometti, enfonce le clou : « Cette relation à la terre est fondatrice d’un modèle global, d’une identité ». Mais elle dénonce des mesures cosmétiques : « Cette gestion ne peut se résumer à des aménagements de sites, à des poses de rubalises ou à des dégagements de parking. On ne peut pas se contenter d’orienter le flux. Il faut pouvoir réglementer, contrôler, mettre des quotas, interdire à certaines périodes l’accès. Ça se fait dans d’autres pays ». Elle aussi pose la question de la gratuité. « Aujourd’hui, ça existe dans tous les pays du monde. Ce n’est pas open bar quand on débarque quelque part ! ».

Les îles Lavezzi. Photo CNI.
Les îles Lavezzi. Photo CNI.
La nécessité de l’autonomie
Le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni, se réjouit de cet « unanimisme important » sur la sur-fréquentation, mais déplore que « quand on veut le traduire, le concrétiser en mesures, il y a loin de la coupe aux lèvres ! Il y a beaucoup d’obstacles juridiques, économiques et des logiques et intérêts qui s’y opposent ». Il cite les Agriates, les plages de Saleccia et du Lodu « où la pression touristique est énorme, malgré l’augmentation drastique de la fréquentation, on n’a pas retrouvé cette unanimité ! Il y a aujourd’hui en Corse des sites surfréquentés et il faut la volonté et le courage politique de dire que si oui, il y a une activité économique, des chefs d’entreprises et des emplois, la richesse fondamentale, c’est la protection de notre biodiversité. Et cela passe donc par une régulation qui n’a jamais existé. Cela impose une discussion difficile ». Il confirme la difficulté de différencier entre touristes et résidents à droit constant. « A Bavella, on ne peut pas traiter les 700 000 touristes comme on traite la personne qui vit là-bas. Mais quand on veut différencier, on n’a pas les moyens. Quand on veut mettre une fiscalité, on n’a pas les moyens. Une politique de grande plaisance ou de mouillage, ce n’est pas la compétence de la CdC ». Et embraye sur son cheval de bataille : l’autonomie : « Comment on en discute à Beauvau ? Par le sous-article ou par du général avec un transfert de compétence sur le domaine public maritime territorial avec la capacité de constater des infractions ? Le Conservatoire du littoral doit être transféré à la CdC. Si on va aller discuter de la sur-fréquentation avec quatre énarques, ce n’est pas le bon niveau ! ». C’est également ce que martèle la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, qui fut l’initiatrice de la feuille de route du tourisme durable : « Les solutions indiscutables passent par l’autonomie. Quand bien même on voudrait réguler, on va buter sur la règlementation, nous l’avons vu avec les camping-cars, nous le verrons avec les quotas ». Et elle conclut sur l’exemple des Baléares qui a changé de modèle touristique, passant du tout tourisme au développement durable : « Les Baléares protègent au maximum, mais elles sont autonomes ».
 
N.M.