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Jean-Félix Acquaviva : « Il faut entendre les critiques des Corses et opérer un recentrage politique »


Nicole Mari le Dimanche 8 Septembre 2024 à 20:21

C’est serein et déterminé que Jean-Félix Acquaviva aborde cette rentrée politique sans rien lâcher de son combat militant et avec l’intention de se concentrer fermement sur ses mandats de conseiller territorial et de président du Comité de massif de Corse. L’ex-député de Femu a Corsica explique à Corse Net Infos que la majorité territoriale a tiré les leçons de son échec aux Législatives, qu’elle a entendu les critiques des Corses, qu’elle entend se repositionner en conséquence et se remettre en ordre de marche autour d’un projet de convergence nationale.



Jean-Félix Acquaviva, ex-député, conseiller territorial et président du Comité de massif de Corse. Photo CNI.
Jean-Félix Acquaviva, ex-député, conseiller territorial et président du Comité de massif de Corse. Photo CNI.
- Après sept ans de mandat parlementaire intense, comment se passe votre nouvelle vie ?
- Ce furent en effet deux mandats très intenses, en termes de nombre d’amendements proposés et d’amendements adoptés sur de nombreux sujets, que ce soit la prévention des incendies, la lutte contre les espèces invasives, les débats budgétaires où l’on a obtenu 40 millions d’euros pour la dotation de continuité territoriale. Ou encore l’adaptation de la Loi Zéro artificialisation nette (ZAN) aux réalités des communes corses. Et bien sûr, les discussions sur l’autonomie, je m’apprêtais à être président de la mission de l’Assemblée nationale qui devait conduire les négociations avec le Sénat. Des années riches en enseignements et en expériences. J’ai toujours été un militant de la Corse et du peuple corse, quelqu’ait été ma place dans le combat politique, et je le resterai, je suis assez philosophe de ce point de vue-là. Cet été, je me suis reposé avec ma famille, suite à l’épisode difficile du décès de mon père. Pour autant, je n'ai pas arrêté mon activité publique. J'ai tenu l'engagement que nous avions pris concernant la signature d’une convention avec EDF sur des projets de mise en valeur du lac de Calacuccia et dans le Niolu sur le plan énergétique, touristique et hydraulique. J’ai aussi apporté mon soutien au maire de Moncale qui fait face à une demande de l’Etat d’augmentation des prix des terrains sur son projet de primo-accédants. Je me suis rendu à des foires rurales, parce que ce sont des engagements moraux et politiques que j’avais pris.

- Dans quel état d’esprit abordez-vous cette rentrée politique ?
- Je suis serein et déterminé. Je vais me concentrer sur mes mandats de conseiller territorial et de président du Comité de massif et continuer à défendre l’intérêt général du peuple corse sur tous les sujets. Nous sommes en train d’élaborer le deuxième Schéma d’aménagement et de protection de la montagne corse 2024-2030 qui sera proposé à l’Assemblée de de Corse. Le premier Schéma a engagé 100 millions d’euros sur des projets et actions réalisées ou programmées qui structurent l’aménagement des territoires. Il a permis de rénover des infrastructures d’eau potable dans des communes de montagne ou de financer des casernes attendues depuis des décennies, notamment celles de Galeria et de La Porta qui sera bientôt inaugurée. Il a permis la mise en place de Maisons de santé dans le Nebbiu et du scanner à Corte. Il a programmé des financements pour les refuges du Parc naturel régional : Asinau et Ortu di u Piobbu dans l’immédiat, d’autres suivront. Il a permis la rénovation des premières bergeries en estive pour accueillir les transhumants, la réalisation de projets agricoles, notamment un soutien aux programmes alimentaires territoriaux du Fium’Orbu, mais aussi des plans de mise en valeur de châtaigneraies dans le Nebbiu et le soutien à la filière bois. Des actions également sur le plan du tourisme et du patrimoine comme A Strada Paolina, le couvent de Morosaglia et à venir le couvent d’Orezza. Ce sont des acquis considérables qui ne suffisent certes pas à revitaliser l’intérieur, mais c’est une première brique. Rome ne s’est pas faite en un jour ! Il faudra plusieurs générations de Schéma et une continuité forte dans les financements, l’ingénierie portée aux communes et aux projets, pour mettre en valeur les territoires de l’Intérieur et de la montagne à travers le développement d’activités économiques. Maintenir une politique de la montagne dans la durée est un combat essentiel qu’il faut mener face à une autre Corse qui est celle de la spéculation foncière et immobilière.
 
- Y aura-t-il un remaniement du Conseil exécutif ? Pourriez-vous l’intégrer ?
- À l’heure actuelle, il n'y a rien de défini sur ce plan-là. De toute façon, ces éléments de réflexion et d’action sont du domaine du président du Conseil exécutif qui est l’entraîneur de l’équipe gouvernementale et le manager de la feuille de route de la majorité territoriale, et qui doit décider s’il est utile ou non d’avoir un remaniement. Au-delà de la question de l’Exécutif, nous devons tirer les enseignements de ce qui s’est passé aux Législatives. Il y aura des opérations de recentrage politiques sur lesquelles je m’investirai.

Jean-Félix Acquaviva et le président du Conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni. Photo CNI.
Jean-Félix Acquaviva et le président du Conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni. Photo CNI.
- Justement, quels enseignements avez-vous tiré de ces Législatives ?
- Plusieurs enseignements. Le premier, c’est que plusieurs choses ont été dites par des Corses sur la nécessité d’améliorer les politiques publiques dans la proximité avec les territoires et les corps intermédiaires. Il y a des choses qui vont très bien, notamment la direction de l’aménagement du territoire, l’aide aux communes et intercommunalités, ou la politique du logement. Il y a des choses qui nécessitent des améliorations. Par exemple les routes, même si on a beaucoup avancé. Il faut entendre ce message d’insatisfaction, mais parler de non-bilan, c’est faux ! Jamais il n’y a eu autant d’aides aux communes et intercommunalités que sous nos mandatures ! Une aide équitable qui a progressé de 18 % en volume et de 30 % pour les communes de rural et de montagne, ce qui est considérable ! L’aide aux actions culturelles a progressé de 20 %. Le dispositif « Una casa per tutti » a permis l’accession à la propriété à plusieurs centaines de famille corses. A travers le Plan pluriannuel de l’énergie (PPE), 200 millions d’euros ont été investis pour la rénovation énergétique des logements sociaux et des lycées, pour le changement vers des centrales à la biomasse liquide de Lucciana et du Vazzio, et la construction de celle du Ricanto. Pour l’eau, 200 millions d’euros sont engagés sur 10 ans, soit 20 millions d’euros par an, ce qui représente sept fois plus que dans les mandatures précédentes, y compris nationalistes. Des choses très concrètes ont été faites et bien faites. Ce sont des acquis effectifs de notre politique, même s’il est clair qu’il faut aller plus vite dans d’autres domaines. Mais force est de constater qu’il y a un problème de communication et de pédagogie.
 
- C’est-à-dire ?
- On a mal communiqué sur le bilan et la nécessité de l’autonomie. Il y a des choses sur lesquelles nous sommes attendus et vus comme un gouvernement capable d’agir au quotidien, par exemple sur la régulation du prix du carburant ou le pouvoir d’achat. Le président de l’Exécutif a beaucoup agi en termes d’interpellation du gouvernement et en demandant les rapports de l’Autorité de la concurrence sur la question des possibles abus de position dominante, mais il n’a pas de prérogative directe. C’est à l’Etat de réguler les prix, il a toute latitude pour le faire et il ne le fait pas malgré nos demandes. Si nous avions été autonome, nous l’aurions fait par décision de l’assemblée délibérante. De même sur la fiscalité du patrimoine qui va peser sur les familles corses. Certes, nous soutenons la loi de Mr Panunzi, votée au Sénat, qui permettrait de repousser à 10 ans l’exonération de 50 % sur la valeur des biens d’une succession, mais la valeur des biens augmente au rythme des prix de l’immobilier. Cette exonération de 50 % ne suffira pas à éviter la dépossession par l’impôt, d’autant plus que cette loi, même si elle n’est nécessaire, est anticonstitutionnelle. Quiconque saisit le Conseil constitutionnel pour la faire tomber, aura gain de cause.
 
- Quels autres leçons tirez-vous ?
- Il y a eu en face de nous une coalition de « contre », ce que j’appelle une convergence politique contre nature qui va de la droite réactionnaire anti-autonomie à une certaine gauche revancharde des anciennes mandatures et malheureusement certaines franges nationalistes. Cette addition de forces électorales, dans le but de faire tomber le soldat Acquaviva pour atteindre le président de l’Exécutif, a territorialisé le scrutin. Elle a, malgré tout, eu besoin d’un accord de désistement avec le RN, décidé localement et à Paris, pour faire élire mon concurrent de droite. C’est le seul cas en France où cet accord a été accepté par le candidat qui est ainsi devenu député. La députée Horizon, Naima Moutchou, l’a refusé, disant qu’elle s’adresserait directement aux électeurs. Si nous étions restés dans une triangulaire, l’issue aurait été différente. Si, au second tour, la plupart des militants nationalistes des différentes structures ont refusé cette coalition et voté pour ma candidature, ce qui nous a permis d’atteindre, avec le soutien de la gauche progressiste et écologiste, 20436 voix, des partis nationalistes ont joué la politique de la terre brûlée en s’alliant avec des forces conservatrices qui sont pourtant contre l’autonomie. Ils ne sont pas vraiment contre la spéculation immobilière et foncière, ils estiment que la résidentialisation secondaire est un mal nécessaire pour l’économie, et ont un projet de société à l’opposé de celui des nationalistes. Nous devons le prendre en compte, relever le défi et affirmer qu’il faut, par l’investissement sur le terrain et le repositionnement politique, une vraie convergence nationale qui soit très claire en termes de principes, de valeurs et de finalité d’objectifs pour le peuple corse.
 
- Vous avez été dépassé par un électorat RN qui a nationalisé le débat. Ne faut-il pas en tenir compte ?
- On ne s’attendait effectivement pas à ce que le débat national s’importe de cette façon-là et qu’il relativise le débat lié à l’autonomie, à la spécificité du peuple corse et au combat politique propre à l’île. Cette nouvelle donne de scores importants du RN vient de deux facteurs. D’abord d’un vote de Corses, y compris dans la ruralité profonde, qui traduit un rejet du système politique, une fracture territoriale, l’absence de services publics, un malaise social auquel il faut répondre. L’ancien candidat du RN dans ma circonscription, Mr Cardi, réalisait déjà 11,5 % des voix en 2022. Nous avons commencé à apporter des réponses à notre échelle. Mais en 2024, s’est additionné un nouvel élément : des gens qui ne votaient pas aux élections et des néo-arrivants en nombre ont voté RN au premier tour. Il y a une corrélation entre le taux de croissance des permis de construire, le flux démographique continental et le vote RN. Ces facteurs ont permis à une candidate inconnue de capitaliser 25 % des voix. Et là, on a un problème sociologique lié à une démographie où la question de la peur de la disparition culturelle ne se pose pas en de soi-disant vagues subsahariennes qui arriveraient en Corse, même s’il faut rester vigilant sur certains comportements, mais à des gens qui fuient le continent français pour des raisons de sécurité et de cadre de vie. Cette élection n’est que le symptôme de cette évolution sociologique qui peut se traduire dans d’autres élections et dans d’autres problématiques économiques, foncières…
 
- Cette communauté de destin, chère aux Nationalistes, ne fonctionne donc plus ?
- Elle ne fonctionne pas, faute de moyens juridiques, politiques et institutionnels. C’est toute la question de l’autonomie ! Si nous n’avons pas un contrat social fait de droits établis sur des critères clairs et de devoirs qui fondent la communauté du peuple corse, nous aurons des clivages intercommunautaires en Corse. Qu’est-ce que le peuple Corse aujourd’hui ? Un permis de construire ou une acquisition immobilière suffit-il pour être Corse ? Je suis pour le droit du sol, mais le droit du sol, ce n'est habiter par un hasard géographique en Corse ! Cela suppose d’aimer et de respecter la Corse, son pays, son peuple, son histoire, sa langue, de participer à la vie quotidienne, d’adhérer à ce qu’elle a été et à ce qu’elle continue d’être pour aujourd’hui et demain. Cette logique de construction commune est, aujourd’hui, mise à mal. Ce phénomène sous-tend la dépossession vécue par les Corses. L’accession à la propriété est limitée par le pouvoir de l’argent, par des opérations spéculatives et promotionnelles dans le périurbain et sur le littoral. S’il n’y a pas de régulation fiscale législative, de statut de résident, de taxation des transactions immobilières qui permettent de créer des équilibres, s’il n’y a pas de corsophonisation de la société avec les moyens de valorisation, de diffusion et de transmission éducative de la langue corse, des clivages vont s’installer dans la société corse.

La majorité territoriale à l'Assemblée de Corse. Photo CNI.
La majorité territoriale à l'Assemblée de Corse. Photo CNI.
- Vous dites que la majorité territoriale doit se repositionner. Qu’avez-vous décidé lors du séminaire de Femu a Corsica à Quenza ?
- J’ai déjà donné des éléments de réponse en disant qu’il faut améliorer les politiques publiques là où il faut, se rapprocher des territoires, améliorer l’administration dans son efficacité et dans sa fluidité de réponses au service des politiques, améliorer la communication et la pédagogie sur ce qui a déjà été fait et bien fait et contrecarrer les mensonges. Je laisse au président de l’Exécutif le soin de développer ce qu’il fera en la matière. Il faut aussi mettre en ordre de marche la majorité territoriale et la force politique de Femu a Corsica autour du redéploiement d’un projet de convergence nationale. Ce débat autour de ce projet de société fera sortir du trou un certain nombre de contradictions et tomber les masques. On ne peut pas avoir les deux pieds dans le même sabot ! Par exemple, sur la question de la spéculation foncière et immobilière, la langue et la culture, la vision agricole avec une agriculture vraiment productive et des choix en termes d’eau...
 
- Pendant le 2nd tour des élections, il a été question d’une refondation du mouvement national. Allez-vous renoué le dialogue avec vos alliés d’hier ?
- Nous n’avons jamais été opposés au dialogue avec toutes les forces progressistes et nationalistes bien, au contraire. Pour preuve, le travail du président de l’Exécutif pour arriver à une convergence autour de la délibération Autonomia de juillet 2023. Jamais une délibération n’a été aussi loin dans l’histoire de l’institution en termes de contenu d’un statut pour la Corse ! Nous sommes prêts à créer un mouvement de ligne pour renouer ce dialogue. Nous sommes prêts à purger un certain nombre de choses qui se sont passées, mais nous ne pouvons pas accepter que l’on nous accuse d’être les seuls responsables de la rupture aux élections territoriales de 2021. C’est totalement faux ! Je rappelle que le président de l’Exécutif avait proposé un rassemblement qui tirait les enseignements de la mandature 2017-2021, des dysfonctionnements avec certains présidents d’agence et offices, et qui n’était pas seulement un accolement de sigles et de quotas. Au même moment, des leaders politiques, qui sont très véhéments en cette rentrée politique, étaient déjà en train de constituer leur propre liste d’ouverture. Nous sommes prêts à prendre notre part de responsabilité et à reconstruire un certain nombre de convergence, de manière très pragmatique, mais les forces nationalistes doivent choisir leur vision d’un projet de société. Quel est leur choix entre adhérer aux fondamentaux, aux valeurs, aux principes et objectifs du nationalisme ou adhérer à une coalition contre nature uniquement pour essayer de faire tomber le président du Conseil exécutif Gilles Simeoni pour des raisons d’accès au pouvoir ? Encore une fois, on ne peut pas avoir les deux pieds dans la même chaussure !
 
- Comment réagissez-vous à la nomination de Michel Barnier à Matignon ?
- Il faut attendre son discours de politique générale avant de se prononcer. Mais sans préjuger de ce qu’il va dire, ce qui me paraît inquiétant, c’est qu’il est nommé dans une alliance de la Macronie avec les LR et le RN, directe parce que Michel Barnier est issu des LR, indirecte par la non censure du RN. Cela laisse présager un très gros choc pour la Corse et les autres collectivités territoriales en termes budgétaires par rapport à une possible politique d’austérité. Je suis aussi très dubitatif quant au positionnement idéologique sur la poursuite d’un processus d’évolution institutionnelle, nécessaire pour résoudre des problèmes des Corses au quotidien. Pour ma part, je reste mobilisé sur un dossier qui me tient à cœur et dans lequel je me suis beaucoup investi : la vigilance autour de l’enquête judiciaire lié à l’assassinat d’Yvan Colonna. Il faut que les conclusions de la Commission d’enquête parlementaire et les questionnements graves qui sont apparus, soient repris dans le débat de l’enquête judiciaire, y compris en termes d’auditions des acteurs qui peuvent de près ou de loin avoir été responsables de ce qui s’est passé. Je serai très attentif à ce que l’enquête judiciaire aille le plus loin possible, en espérant une issue claire vers la vérité.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.